2024-05-14

Face aux ambiguïtés de la politique climatique de BNP Paribas, les scientifiques demandent à nouveau des comptes

Cette année encore, des scientifiques sont allé.es demander des comptes à BNP Paribas concernant sa politique climatique lors de son Assemblée générale du 14 mai. 600 scientifiques, dont plusieurs co-auteur.es du GIEC, l’avaient appelée l’an dernier à cesser tout financement de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Alors que BNP Paribas se vante d’avoir une politique ambitieuse en ligne avec l’Accord de Paris, cette dernière comporte encore plusieurs zones d’ombre.



Vidéo de l’intervention orale de Scientifiques en rébellion disponible ici

Mardi 14 mai, des scientifiques sont allé.es interpeller le Conseil d’administration de BNP Paribas concernant les ambiguïtés de sa politique climatique lors de son Assemblée générale annuelle des actionnaires, comme elles et ils l’avaient fait l’an dernier. Le simple rappel des conclusions claires du Giec et de l’Agence internationale de l’énergie (voir texte à la fin du document), selon lesquelles aucun nouveau projet d’extraction d’énergies fossiles ne doit être financé pour avoir une chance de limiter le réchauffement climatique bien en-dessous de 2°C, a été accueilli par des huées des actionnaires présent.es, et les responsables de la banque ont esquivé la question. Les autres intervenant.es (ONG, créateur et créatrice de contenus, étudiant.es) venu.es demander un renforcement des engagements de BNP Paribas en faveur du climat n’ont pas non plus obtenu d’avancée de la part de la banque. Le rapport Banking on Climate Chaos 2024 sorti le 13 mai indique que BNP Paribas a réduit ses financements aux énergies fossiles, mais leur a tout de même consacré 12 milliards d’euros en 2023.

Irénée Frérot, scientifique qui était présent à l’assemblée générale, déclare « La science climatique est claire : pour respecter l'accord de Paris, plus aucun nouveau projet d’énergie fossiles ne doit être financé. A l’AG de la BNP Paribas, nous avons rappelé ce fait scientifique afin d'exhorter la banque à stopper tout financement, direct ou indirect, aux entreprises qui développent de tels projets, à commencer par TotalEnergies. Notre intervention a déclenché les huées des actionnaires, et la direction du groupe a refusé de s’engager à arrêter de financer la major pétro-gazière française. »

Scientifiques en rébellion avait posé début avril une série de questions à Antoine Sire, directeur de l’Engagement d’entreprise de la banque. N’ayant obtenu aucune réponse, ces questions ont été soumises par écrit au Conseil d’administration de la banque dans le cadre de l’Assemblée générale 2024.

Depuis l’an dernier, BNP Paribas a fait des annonces qui se présentent comme très ambitieuses. Un certain nombre de points vont effectivement dans le bon sens. La banque a revu à la baisse la trajectoire visée pour les crédits aux énergies fossiles d’ici à 2030, et les a effectivement nettement diminués au cours des dernières années. Elle affirme aussi que « BNP Paribas n’a participé à aucune émission obligataire au secteur pétro-gazier depuis la mi-février 2023 » (date à laquelle BNP Paribas avait accordé deux financements de plusieurs milliards de dollars à deux entreprises parmi les plus agressives dans le développement de projets fossiles, BP et Aramco).

Malheureusement, la portée de ce constat n’est pas claire. Il n’est pas certain qu’une telle phrase signifie que BNP Paribas n’ait pas participé au financement de TotalEnergies depuis février 2023, car certains types de versement sont considérés par la banque comme des « liquidités », et « qu’une banque, ça donne des liquidités », d’après les déclarations du directeur général de la banque au Sénat. On ne sait pas non plus précisément quelles entreprises sont incluses dans leur dénomination « secteur pétro-gazier », et le flou règne dans les documents officiels de la banque à ce sujet. Enfin, à ce jour, BNP Paribas se contente de constater ne pas avoir fourni ce type de financement, mais sans s’engager à ne pas le faire à l’avenir.

Le 23 février 2023, les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France assignaient BNP Paribas en justice pour non-respect de son devoir de vigilance climatique. Le lendemain, 600 scientifiques, dont plusieurs co-auteur.es du GIEC, publiaient une lettre ouverte au Conseil d’administration de la banque, lui demandant de cesser urgemment de soutenir financièrement, directement ou indirectement, les nouveaux projets pétroliers et gaziers. En effet, le consensus scientifique, reconnu par le scénario Zéro émission nette de l’Agence internationale de l’énergie, montre que l’ouverture de nouveaux gisements d’énergie fossile est incompatible avec le respect de l’Accord de Paris, et donc avec la limitation du réchauffement climatique bien en dessous de 2°C. La lettre ouverte relevait que BNP Paribas a été entre 2016 et 2021 « la première au niveau mondial pour le financement du pétrole et du gaz en Arctique et la première au niveau européen pour le financement de l’expansion des énergies fossiles ».

La banque avait partiellement répondu à cet appel en communiquant juste avant son Assemblée générale 2023 sur la fin de ses financements dédiés aux nouveaux champs pétroliers ou gaziers – mais sans renoncer à financer les entreprises qui portent ces projets. Venu.es interpeller le Conseil d’administration de BNP Paribas, après une vague d’actions menées dans plusieurs villes par Scientifiques en rébellion contre la banque le 10 mai 2023, plusieurs membres du collectif avaient déjà affronté les huées des actionnaires lors de l’AG du 16 mai 2023, sans obtenir de réponse claire.

Question posée par Milan Bouchet-Valat, membre de Scientifiques en rébellion, lors de l’Assemblée générale :

« Je suis scientifique, et je prends la parole au nom de mes 600 collègues, dont plusieurs co-autrices et co-auteurs des rapports du GIEC, qui vous avaient exhortée en février 2023 à arrêter le financement, direct et indirect, des nouveaux projets d’énergies fossiles. En dépit d’annonces récentes qui semblent aller dans le bon sens, nous constatons que cet arrêt n’est toujours pas effectif aujourd’hui. Or le temps presse. Dire que la situation est urgente est un euphémisme. Au rythme actuel d’émission, le budget carbone pour limiter le réchauffement à 1,5 degrés sera épuisé dans 5 à 7 ans. Les rapports du GIEC et de l’Agence internationale de l’énergie sont formels : plus aucun nouveau projet fossile ne doit pouvoir se financer, et il sera même nécessaire de démanteler les industries extractives bien avant qu’elles ne cessent d’être rentables. Il faut accepter de ne pas faire les profits qui auraient été possibles dans un monde virtuel, un monde dans lequel les limites physiques de la planète ne seraient pas ce qu’elles sont.

Ma question est simple : est-ce que BNP Paribas reconnaît oui ou non, que tout investissement dans de nouveaux projets fossiles est incompatible avec le respect du budget carbone restant pour maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C comme le prévoit l’Accord de Paris ? »