2023-05-10

Les scientifiques en rébellion dénoncent le financement de nouveaux projets d’énergie fossile par BNP Paribas. Des dizaines d’actions dans toute la France

Ce 10 mai, des dizaines de scientifiques à travers la France ont participé à des actions visant à alerter sur la nécessité de ne plus ouvrir et financer de nouveaux sites et infrastructures liées à l’extraction de pétrole et de gaz. Il y a en effet un consensus scientifique sur le fait que ces projets ne sont pas compatibles avec le respect de l’Accord de Paris sur le climat, dont l’objectif est de limiter le réchauffement de la planète à beaucoup moins que +2°C, si possible +1.5°C. En raison du nombre de morts que vont causer ces nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles, ils ont reçu l’appellation de « bombes climatiques » dans la littérature scientifique. Cette journée, à l’initiative de Scientifiques en rébellion dans le cadre d’une campagne internationale de Scientist Rebellion, a réuni également Extinction Rebellion, ANV-COP21, Dernière Rénovation et STOP EACOP. Les actions ont visé l’un des principaux financeurs mondiaux des énergies fossiles : la banque française BNP Paribas. Cette journée prend tout son sens alors que 600 scientifiques – dont plusieurs co-auteur·es du GIEC – ont publié en février dans L’Obs une lettre ouverte demandant au conseil d’administration de BNP Paribas de ne plus financer directement ou indirectement de nouveaux projets fossiles, et qu’ils et elles n’ont obtenu aucune réponse. La date de l’assemblée générale de BNP Paribas (le 16 mai) approche, et les scientifiques entendaient rappeler à BNP Paribas que des réponses à la hauteur des enjeux sont attendues.

Des actions de nature diverse ont eu lieu dans dix villes de France (voir le détail plus bas), ce qui fait de cette journée la plus grosse action coordonnée visant les énergies fossiles et leurs financeurs, ainsi que la plus large mobilisation de scientifiques en France. A Nice, Toulouse, Paris, Blois, Nancy, Tours, Montpellier et Metz, scientifiques et militants étaient réuni·es autour d’actions communes. A Blois, la façade de l’agence BNP a été aspergée de peinture. A Nice, un distributeur de billets a été neutralisé par de la peinture noire, et la façade recouverte de tracts. A Toulouse, c’est une bombe factice de deux mètres de diamètre qui a été posée et allumée devant deux agences BNP. Sur la bombe était inscrit « bombes climatiques, qui sont les éco-terroristes ?? ». A Paris, la vitrine d’une agence a été recouverte d’articles scientifiques en lien avec les émissions des énergies fossiles, et des tracts ont été distribués aux passants et clients. A Nancy l’une des agences a été investie pour diffuser des tracts ; les scientifiques ont interpellé directement des client·es et des employée·es, faisant suite à un courrier envoyé préalablement à plusieurs directeurs et directrices d’agence de la ville. A Tours, les façades et distributeurs de plusieurs agences ont été aspergés de ont liquide visqueux et noir simulant le pétrole.

Enfin, plusieurs actions de soutien à cette journée ont été menées par des membres d’Extinction Rebellion dans la nuit du 9 au 10 mai. Dans une quinzaine de villes, des distributeurs de BNP Paribas, de la Société générale et du Crédit agricole ont été neutralisés, dans le cadre de la campagne « Banque Trop Crade » du collectif. Dans une dizaine d’autres, ce sont des façades des banques qui ont été repeintes dans le cadre de la campagne « Carnage Total » du collectif, rappelant leurs liens avec l’entreprise TotalEnergies, qui entend poursuivre ces projets d’extraction d’énergies fossiles.

A Toulouse, Paris, Nancy et Montpellier, les scientifiques ont pris publiquement la parole pour expliquer leur démarche, et les raisons qui les poussent à interpeller aujourd’hui BNP Paribas. Aude Carreric, climatologue, a souligné que « Malgré ses belles déclarations, BNP Paribas est la banque française qui investit le plus dans les énergies fossiles. Elle a par exemple été entre 2016 et 2022 la quatrième au niveau mondial pour le financement de l’expansion des énergies fossiles, et la première au niveau mondial en 2022 pour le financement du pétrole et du gaz offshore ». Julian Carrey, physicien, a dénoncé la poursuite de l’investissement dans les énergies fossiles : « 425 “bombes climatiques” ont été répertoriées dans le monde. Chacune de ces infrastructures fossiles émettra plus d’1 milliard de tonnes de CO2, et elles nous empêcheront de respecter l’accord de Paris. Le GIEC l’a encore rappelé : chaque tonne de CO2 augmente la fréquence et l’intensité des événements climatiques extrêmes, mais aussi leurs victimes. Qui sont les éco-terroristes ? ». Kévin Jean, épidémiologiste, a ajouté : « En 2023, après un 6e rapport du GIEC, des sécheresses historiques, des records climatiques qui tombent les uns après les autres, on ne peut plus se contenter des belles déclarations de principes des acteurs financiers. Les banques, et la BNP Paribas, doivent être mises devant leur responsabilité ». Fabienne Barataud, géographe, a également souligné que « selon le dernier rapport du GIEC 3,3 milliards de personnes vivent aujourd’hui dans des régions avec un haut niveau de vulnérabilité humaine au changement climatique, soit environ 40% de la population mondiale. Cette vulnérabilité est évidemment façonnée par les évolutions passées, telles que le colonialisme et son héritage actuel, et elle est socialement différenciée. Elle est donc particulièrement marquée dans les Pays du Sud. Les groupes les plus pauvres, les populations autochtones, les communautés agricoles, les femmes et les membres de groupes minoritaires sont les personnes qui subissent en premier et continueront à subir de manière plus importante, sans voie de recours, les impacts en termes de santé, de sécurité alimentaire ou d’accès à l’eau ».

Cette première journée est organisée dans le cadre d’une campagne internationale menée par le collectif Scientist Rebellion. De nombreuses actions ont lieu ce même jour dans plusieurs pays du monde, avec comme slogan « The science is clear – but the world is still ignoring it ». Dans tous les pays du monde, le message des scientifiques est le même : il nous faut arrêter les nouveaux projets liés aux énergies fossiles et entamer une politique de décroissance, la seule compatible avec le respect de l’accord de Paris sur le climat. Cette journée sera suivie par une action nationale à fort impact le 12 mai, qui visera la production d’énergies fossiles. Lors de l’AG de BNP Paribas qui aura lieu le 16 mai, les scientifiques poseront des questions sur le financement des énergies fossiles par BNP Paribas.

Le reste du document donne des détails sur les constats scientifiques justifiant ces actions et fournit le discours prononcé par certain·es scientifiques lors des actions.

Détails des actions en France, par ordre chronologique

A Grenoble, les actions avaient commencé plus tôt : c’est le 3 mai que les Scientifiques en rébellion, soutenu·es par Extinction Rebellion, ont pris pour cible une agence BNP Paribas, en centre ville. Affublée d’une banderole « Banque Trop Crade » suspendue par des grimpeurs à son fronton, l’entrée de la banque a été bloquée, le croisement routier occupé, les vitres « nettoyées » afin de dénoncer le financement « très crade » des énergies fossiles par la BNP. Plusieurs prises de paroles, un die-in, et une opération de sensibilisation (tracts) ont émaillé les trois heures de l’opération.

À Blois, le 9 mai à 20h, des activistes de Scientifiques en rébellion et Extinction Rebellion ont aspergé de peinture la façade de l’agence BNP. Ils ont aussi collé des affiches rappelant d’une part que limiter le réchauffement climatique nécessite de ne plus financer de nouveaux projets d’extraction d’énergie fossile, et d’autre part la responsabilité qui incombe aux membres du conseil d’administration de la banque. Enfin, les rues du centre ville ont vu fleurir des ballons de baudruche noirs, symbolisant des « bombes climatiques », et suggérant des ressources en ligne sur la campagne en cours des Scientifiques en rébellion et sur le mouvement Stop-EACOP.

A Metz, le 9 mai à 22h30, des activistes d’Extinction Rebellion et Scientifiques en rébellion ont projeté de la peinture à l’eau à l’aide de vaporisateurs sur les façades du Crédit Agricole situé rue des Clercs, lors d’une action coup de poing qui a duré moins de deux minutes. Ils et elles ont également réalisé des inscriptions à la bombe de peinture portant le message « Stop EACOP » et placardé des affiches expliquant le caractère délétère du projet EACOP ainsi que l’implication du Crédit Agricole et de sa filiale Amundi.

A Nice, le 10 mai à l’aube, des scientifiques et des militant·es d’ANV-COP21 et Extinction Rebellion ont neutralisé un distributeur de billets avec de la peinture noire rappelant le pétrole. Des tracts et des stickers soulignant la responsabilité de BNP Paribas dans le financement de projets d’extraction d’énergies fossiles et notamment les projets qualifiés de « bombes climatiques » ont été affichés sur la façade de l’agence.

À Lyon, le 10 mai au petit matin, la responsabilité de BNP Paribas a été condamnée par des scientifiques sur des pancartes attachées à des ballons noirs symbolisant les bombes climatiques financées par la banque, accrochées à plusieurs agences situées en centre ville. Des lettres ont aussi été posté dans plusieurs agences de la métropole, rappelant aux responsables d’agences BNP la responsabilité de leur banque dans le financement des énergies fossiles et leur demandant d’interpeller ses dirigeants sur leur inaction climatique.

A Tours, le 10 mai au petit matin, des activistes d’Extinction Rebellion ont projeté du liquide visqueux et de la peinture noire, simulant le pétrole, et placardé des affiches sur les façades de 4 agences de banques finançant TotalEnergies : une agence BNP, deux agences Crédit Agricole ainsi qu’une de la Société Générale.

À Toulouse, le 10 mai à 10h, les scientifiques et des membres d’ANV-COP21 ont déambulé dans les rues de la ville rose avec une bombe factice noire de deux mètres de diamètre, sur laquelle était inscrit « Bombes climatiques : qui sont les vrais éco-terroristes ?? ». Les participant·es se sont installé·es devant une première agence BNP Paribas, ont allumé la mèche de la bombe et l’ont symboliquement fait exploser, avant de jouer une scène théâtrale rappelant le greenwashing de la banque. Ensuite, devant une deuxième agence, les scientifiques ont pris la parole à côte de la bombe, et expliqué le sens de leur démarche, rappelant notamment le concept de « bombe climatique » et les millions de morts qui vont être causés par la poursuite des projets fossiles.

A Nancy, le 10 mai à 10h, des scientifiques ont pénétré dans une agence du centre-ville en demandant à s’entretenir avec un·e responsable suite au courrier d’interpellation qui avait été envoyé quelques jours plus tôt à l’ensemble des agences de la ville. L’occupation du hall de l’agence et le tractage en cours auprès des client.e.s pendant plus d’une heure et demi ont obligé différents responsables à sortir de leur bureaux alors qu’ils avaient été initialement annoncés absent·es. La responsabilité de leur banque dans la poursuite du financement des énergies fossiles, la nécessité de porter ces questions au CA du 16 mai et l’ensemble des arguments en faveur d’un arrêt immédiat de tout nouveau projet d’extraction a ainsi pu être répété encore et encore devant personnels, clients et passants, en présence également d’un journaliste de France 3 Lorraine.

A Marseille, le 10 mai à 11h, des scientifiques en blouse blanche sont entré·es dans l’agence BNP Paribas de la rue Saint-Ferréol pour parler au directeur qui les a reçu·es très cordialement. L’action était couverte par une journaliste et un photographe de La Provence. Ensuite les scientifiques ont distribué des tracts aux client·es et ont continué dans la rue. A midi, l’agence BNP de la place Castellane a été visitée mais sans possibilité d’échange avec la directrice, absente. L’action s’est donc terminée par du tractage devant l’agence et de nombreuses discussions avec un public réceptif et soutenant.

À Paris, le 10 mai à 12h, une quinzaine de scientifiques en blouse blanche et des membres d’Extinction Rebellion ont visé l’agence BNP Paribas de la place d’Alésia. Elles et ils ont recouvert ses vitres d’affiches appelant BNP Paribas à cesser ses investissements dans les énergies fossiles et d’articles scientifiques. Ils et elles ont distribué des tracts d’explication aux clients de la banque. Dans leur prise de parole, les scientifiques ont rappelé le rôle de BNP Paribas dans le financement des fossiles. Aude Carreric, climatologue, a rappelé : « Malgré ses belles déclarations, BNP Paribas reste profondément lié à l’expansion des énergies fossiles, dans toutes ses activités : prêts, émissions d’obligations, gestions d’actifs... ». Kévin Jean, épidémiologiste, a ajouté : « En 2023, après un 6e rapport du GIEC, des sécheresses historiques, des records climatiques qui tombent les uns après les autres, on ne peut plus se contenter des belles déclarations de principes des acteurs financiers. Les banques, et la BNP Paribas, doivent être mises devant leur responsabilité ».

A Montpellier, le 10 mai à 17h30, des scientifiques et des militants d’Alternatiba ont déposé une lettre à l’intention de la direction de l’agence Université de BNP Paribas. Des tracts et des banderoles ont été déployés à l’extérieur pour sensibiliser la clientèle de l’agence et les passant·es pendant qu’une prise de parole avait lieu.

Dans le Grand Est, un courrier a été envoyé à 16 agences BNP Paribas pour informer et interpeller les responsables d’agence sur l’urgence climatique et les financements de leur banque pour les énergies fossiles.

BNP Paribas et les énergies fossiles

Les actions et protestations ont ciblé BNP Paribas, car la banque française est classée première au rang des banques européennes qui financent le plus les énergies fossiles1. Entre 2016 et 2022, elle a investi 166 milliards de dollars dans le charbon, le pétrole et le gaz, ce qui la place 11e au classement des banques mondiales qui financent le plus ces secteurs. En 2022, elle a été la première banque au niveau mondial pour le financement du pétrole et du gaz offshore ; et entre 2016 et 2022, elle a été la quatrième banque mondiale pour le financement de l’expansion des énergies fossiles.

En avril 2021, BNP Paribas a rejoint la Net Zero Banking Alliance (NZBA), un programme lancé par les Nations unies pour inciter les banques à participer à la sortie des énergies fossiles. Pourtant, un mois après, alliée à d’autres banques, BNP Paribas a consenti un prêt de 10 milliards de dollars à Saudi Aramco, la société ayant les plus grands projets d’expansion pétrolière et gazière au monde. Près d’un an plus tard, un nouveau prêt de 14 milliards de dollars a été octroyé à la même compagnie. De plus, alors que le groupe BNP Paribas affirmait lors de son assemblée générale de 2022 ne pas soutenir EACOP (East Africain Crude Oil Pipeline), le gigantesque projet pétrolier de TotalEnergies en Afrique de l’Est, elle participait au même moment à un prêt de 8 milliards de dollars à TotalEnergies avec le Crédit Agricole et la Société Générale.

Les engagements de BNP Paribas portent sur une réduction de leur prêts à des projets pétroliers. Néanmoins, les émissions d’obligations et la gestion d’actifs, qui constituent des volumes financiers considérables, sont exclus de ces engagements. De plus, la politique de BNP Paribas sur le gaz, qui est également une énergie fossile très émettrice de CO2, est opaque.

Les scientifiques interpellent BNP Paribas

Les actions et protestations menées par le collectif Scientifiques en Rébellion font suite à une première interpellation de BNP Paribas sur ces investissements dans les énergies fossiles. Dans une lettre ouverte publiée le 24 février 2023 dans le magazine L’Obs, 600 scientifiques, dont plusieurs co-auteurs et co-autrices des rapports du GIEC, avaient demandé aux membres du Conseil d’administration de BNP Paribas de prendre leurs responsabilités en cessant tout soutien à l’ouverture de nouveaux gisements pétroliers et gaziers. Ils et elles demandaient à BNP Paribas « d’être à l’écoute des scientifiques, et non pas d’acteurs qui continuent contre vents et marées leur politique de fabrique du doute afin de maintenir le statu quo ». Les scientifiques y interpellaient les membres du CA de BNP Paribas qui se sont engagé·es publiquement pour la sauvegarde de l’environnement, et les appelaient à démissionner si BNP Paribas continuait à soutenir directement ou indirectement l’ouverture de nouveaux gisements d’énergies fossiles. Lors de l’AG de BNP Paribas qui aura lieu le 16 mai, les scientifiques poseront à nouveau au CA des questions à ce sujet, qu’ils ont rendues publiques.

La lettre ouverte des scientifiques venait appuyer la plainte à l’encontre de BNP Paribas déposée le 23 février par trois associations (Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France), pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Cette plainte déposée est le premier contentieux climatique mettant en cause une banque.

Émissions des infrastructures fossiles et bombes climatiques

Différents collectifs militent contre le financement des énergies fossiles en raison de l’urgence climatique à laquelle nous faisons actuellement face. Pour respecter l’Accord de Paris et ne pas dépasser une élévation de la température à + 1.5°C, il faut drastiquement réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Actuellement, les chercheurs estiment par exemple que pour avoir une forte probabilité de respecter l’Accord de Paris, une quantité limitée de CO2 doit être rejetée dans l’atmosphère. Plus précisément, ce « budget carbone restant » s’élève à environ 300 Gt de CO2 pour rester en-dessous de +1.5°C de réchauffement et environ 900 Gt de CO2 pour espérer rester en deçà de 2°C2.Au rythme actuel d’émissions de CO2 (40 Gt CO2 par an), ce budget s’amenuise très rapidement année après année.

Les scientifiques utilisent aujourd’hui le terme de « bombes climatiques » pour qualifier les infrastructures fossiles en projet qui vont émettre plus d’un milliard de tonnes de CO2 au cours de leur existence. Pourquoi ? Parce que les énergies fossiles sont la première cause de libération de CO2 dans l’atmosphère, et que ces émissions vont causer des dizaines ou centaines de millions de morts à cause de la hausse de température résultante. 425 « bombes climatiques » ont été répertoriées dans le monde3. Du fait de la hausse de température qu’elles généreront et en utilisant nos connaissances actuelles sur le taux de mortalité associé, on peut estimer que chaque bombe climatique causerait au minimum la mort de 200 000 personnes entre maintenant et la fin du siècle. 200 000  ! Le projet EACOP émettrait par exemple à lui seul 34,3 millions de tonnes de CO2 par an pendant au moins 20 ans, ce qui pourrait causer 150 000 morts d’ici à la fin du siècle4.

Face à ces constats, les multinationales des énergies fossiles sont appelées à réduire leur extraction d’hydrocarbures et de charbon, dont la combustion contribue massivement aux émissions de GES5. Pourtant, elles adoptent la tendance inverse : par exemple, TotalEnergies, qui depuis les années 1970 cherchait à dissimuler l’impact des énergies fossiles sur le réchauffement climatique6, prévoit aujourd’hui d’augmenter de 25 % ses extractions gazières d’ici 2030 et d’allouer toujours 70 % de ses investissements aux hydrocarbures sur la période 2022-20257.

Les autres impacts des infrastructures fossiles

En plus de représenter une source importante d’émissions de GES, les énergies fossiles ont d’autres conséquences dramatiques sur l’environnement. L’exploitation et le transport des hydrocarbures et du charbon se fait tout d’abord au détriment des populations locales, qui subissent les dégradations de leur milieu de vie. Le projet EACOP en est un exemple révélateur. Ce projet porte notamment atteinte aux ressources en eau et aux moyens d’existence des agriculteurs, des pêcheurs et de toutes les personnes tributaires de la richesse des ressources naturelles de la région. Une résolution d’urgence du parlement européen indique que près de 118 000 personnes seront affectées par ce méga-projet pétrolier, que plus de 100 000 personnes courent le risque imminent d’être déplacées par suite du projet EACOP (privées du libre usage de leurs terres, et donc de leurs moyens de subsistance).

L’exploitation et le transport des énergies fossiles représentent aussi une menace importante pour les écosystèmes et la biodiversité. Les accidents pendant le transport maritime d’hydrocarbures s’accompagnent de lourds dégâts, avec comme exemple récent la marée noire survenue en janvier 2022 sur plus de 40 km du littoral de la côte centrale péruvienne. Les douze mille barils de pétrole échappés, soit 1,9 millions de litres de pétrole, ont pollué durablement deux réserves naturelles protégées, entraînant la mort de milliers d’animaux – dont certains en voie d’extinction – et laissent sept mille pêcheurs artisanaux et commerçants sans travail. Un dernier exemple d’impact concerne les risques de fuites sur les oléoducs de transports terrestres. En 2022, l’oléoduc de Keystone (Etats-Unis) a déversé 2,2 millions de litres de pétrole dans les cours d’eau, tandis qu’un oléoduc en Équateur a déversé 1 million de litres de pétrole dans la forêt amazonienne.

La décroissance comme seule voie pour respecter l’accord de Paris

Depuis le rapport Meadows8, dont les enseignements généraux font largement consensus aujourd’hui, nous savons qu’une décroissance marquée et continue de la production matérielle est inévitable pour assurer la viabilité de nos sociétés modernes. La production matérielle est fortement couplée à la combustion d’énergies fossiles et donc à la production de GES. Les tenants de la croissance dite « verte » (aussi qualifiée de « développement durable »), plaident qu’un découplage entre croissance économique et dégradation planétaire pourrait être rendu possible dans le futur. Ce dogme et les solutions technologiques qu’il propose sont à la fois réfutés empiriquement9 par l’analyse historique10, actuellement inopérants, et, face à l’urgence d’une transition rapide et mondiale, impossibles à mettre en œuvre à grande échelle quand bien même de telles solutions de décarbonation existeraient. Les cas de la géo-ingénierie et du captage du CO2 sont en cela des archétypes de ce mirage technosolutionniste. Ces solutions sont considérées au mieux comme immatures, au pire comme extrêmement dangereuses et contre-productives. Le captage du CO2 n’est par exemple efficace qu’à la sortie d’une source fortement émissive : il ne règle ainsi aucunement le problème du CO2 déjà présent dans l’atmosphère et induit par effet rebond une incitation à la perpétuation de la consommation d’énergies fossiles. Il est également à noter que l’investissement massif des majors pétrolières dans le captage du CO2 vise prioritairement la technologie CCUS (Carbone Capture Usage and Storage) qui consiste à capturer le CO2 afin de le réinjecter dans la roche mère dans le but d’extraire plus d’hydrocarbures : il va sans dire que cet usage est absolument contre-productif et délétère11.

Face à l’urgence, face à l’évidence, une forme de décroissance matérielle choisie – plutôt qu’une récession subie – est le seul avenir viable et donc souhaitable à ce jour. Cette direction vers la décroissance économique, vue comme une croissance des services écosystémiques et non plus du PIB (qui n’évalue en rien le bien-être d’une société mais seulement ses flux financiers), a été longuement documentée, théorisée et expérimentée12. Elle consiste notamment à réduire le travail productif (par exemple semaine de 4 jours, journées de 4h) afin de libérer du temps au bénéfice de services écosystémiques (bénévolat en crèches, dans les maisons de retraites, à l’hôpital, dans les écoles), dans un cadre par exemple similaire à celui des pompiers volontaires. Décroître impose également une rationalisation des besoins (mobilisation agro-écologique, reprises de savoirs et savoir-faire, génération de communs), et une transformation — voire une fermeture — des structures modernes dont nous héritons13 mais qui sont incompatibles avec les objectifs de neutralité carbone à horizon 2050, pour se focaliser sur les besoins nécessaires (désengagement de l’agriculture 4.014, « low-technicisation » du numérique15, déprogrammation de la 6G et arrêt du déploiement de la 5G16, etc.). Enfin la décroissance passe nécessairement par une relocalisation et une remise en commun des pouvoirs décisionnels17, ainsi qu’une reconstruction du lien au vivant, pour pouvoir prendre réellement soin de notre environnement comme un sujet à part entière de nos sociétés18.

Afin de mettre en place au plus vite cet engagement en direction de la décroissance économique, nous, Scientifiques en rébellion, appelons TotalEnergies à stopper immédiatement tout financement de nouveaux gisements d’hydrocarbures, appelons BNP Paribas, le Crédit Agricole et la Société Générale à désinvestir immédiatement leurs actifs de TotalEnergies, et appelons enfin à une concertation citoyenne et démocratique pour la mise en place d’un plan commun de sortie rapide des énergies fossiles.

Financements

Ces actions ont été réalisées dans le cadre d’une campagne internationale organisée par Scientist Rebellion, un collectif international regroupant plus d’un millier de scientifiques mobilisés dans une trentaine de pays. Scientifiques en rébellion étant désormais la branche française de Scientist Rebellion, les campagnes internationales bénéficient de financements de la part du Climate Emergency Fund. Scientifiques en rébellion dispose également de financements provenant de dons de citoyen·nes soutenant sa démarche et qui sont utilisés pour des actions indépendantes des campagnes internationales de Scientist Rebellion.

Discours prononcé

Le discours ci-dessous a été déclamé par les scientifiques le 10 mai à Toulouse , devant des agences BNP Paribas.

LANCEMENT

On devrait être dans nos labos, dans nos bureaux, en réunions ou en colloque. Mais on est là !

On pourrait avoir pris quelques congés, être avec nos familles, nos amis, bavarder, bouquiner, se promener, rêver ou bricoler. Mais on est là !

On est là parce que le déni de l’urgence climatique nous l’impose.

En science, il y a des controverses, des incertitudes, des connaissances qui évoluent et des changements de paradigmes ; ça fait partie de la méthode scientifique et c’est ce qui contribue à la construction des savoirs.

Mais il y a aussi des preuves, des constats, des démonstrations. Et des certitudes !

Et s’il y en a une aujourd’hui, c’est celle de la catastrophe climatique en cours. Le changement climatique est un fait et les activités humaines en sont responsables. Il n’y a plus de doute sur ce point.

CC & BUDGET CARBONE

Les travaux scientifiques le prouvent et le dernier rapport du GIEC l’énonce sans équivoque. À l’heure actuelle, la planète connaît déjà +1.1 C de réchauffement par rapport à l’ère pré-industrielle, réchauffement qui est entièrement dû aux émissions anthropiques.

Que va-t-il se passer ensuite ?

Les études scientifiques démontrent qu’il existe une relation directe entre le total des émissions de gaz à effet de serre accumulées dans l’atmosphère depuis l’ère pré-industrielle et l’augmentation de température. Pour stabiliser la température globale, il est donc nécessaire d’arrêter cette accumulation.

Si on se focalise sur le CO2, le principal gaz à effet de serre, on peut estimer la quantité maximale de CO2 qu’on peut se permettre d’émettre si l’on souhaite rester sous une augmentation donnée de température. C’est ce que nous appelons le budget carbone restant. Par exemple on peut calculer le budget carbone +1.5, c’est-à-dire la quantité de CO2 qui « peut » encore être émise et accumulée dans l’atmosphère avant d’atteindre +1.5.

Au rythme actuel, notre budget va être très rapidement dépensé : 4 à 7 ans pour le budget +1.5 C, 20 à 25 ans pour le budget +2 C.

La fonte des glaciers ou la montée des océans ont une lente dynamique, qui peut se poursuivre des centaines voire des milliers d’années après la stabilisation du climat, et dépendent de la trajectoire exacte suivie : il est donc capital de suivre une trajectoire suivant laquelle les émissions sont réduites au plus vite.

Si on ne fait rien très vite maintenant, les conséquences seront massives, désastreuses et hors de contrôle

3,3 milliards de personnes … c’est selon le dernier rapport du GIEC le nombre de personnes qui vivent aujourd’hui dans des régions avec un haut niveau de vulnérabilité humaine au changement climatique. Environ 40% de la population mondiale !

20 millions ! 20 millions de personnes qui, depuis 2008, sont, chaque année, déplacées pour cause d’événements climatiques extrêmes.

Cette vulnérabilité est évidemment façonnée par les évolutions passées, telles que le colonialisme et son héritage actuel, et elle est socialement différenciée. Elle est donc particulièrement marquée dans les Pays du Sud. Les groupes les plus pauvres, les populations autochtones, les communautés agricoles, les femmes et les membres de groupes minoritaires sont t les personnes qui subissent en premier et de manière plus importante, sans voie de recours, les impacts en termes de santé, de sécurité alimentaire ou d’accès à l’eau.

BOMBES CLIMATIQUES

Les scientifiques utilisent aujourd’hui le terme de « bombes climatiques » pour qualifier les infrastructures fossiles existantes ou en projet qui vont émettre plus d’un milliard de tonnes de CO2 au cours de leur existence. Pourquoi ? Parce que les énergies fossiles sont la première cause de libération de CO2 dans l’atmosphère, et que ces émissions vont causer des dizaines ou centaines de millions de morts à cause de la hausse de température résultante. 425 « bombes climatiques » ont été répertoriées dans le monde. Du fait de la hausse de température qu’elles généreront et en utilisant nos connaissances actuelles sur le taux de mortalité associé, on peut estimer que chaque bombe climatique causera la mort de 200 000 personnes entre maintenant et la fin du siècle. 200 000 ! Qui sont les éco-terroristes ?

Plusieurs études ont évalué les émissions de CO2 des infrastructures fossiles existantes ou en projet, dans l’objectif de les comparer à notre budget carbone restant. Et on peut aussi comparer notre budget carbone avec ce qu’on a en sous-sol.

Les résultats sont là : pour un réchauffement limité à +2 C, par exemple, plus aucune ressource de l’Arctique ne devrait être brûlée. Pour un réchauffement limité à +1.5 , une majeure partie des réserves, pourtant économiquement rentables, ne devraient pas être exploitées : 58% du pétrole rentable... dans le sous-sol ! 56% du gaz naturel rentable... dans le sous-sol ! 89% du charbon rentable ... dans le sous-sol.

Pour respecter l’objectif +1.5 C, le pic de la production de pétrole et de gaz aurait dû avoir lieu déjà en2020 et avoir été suivi d’un décrue d’environ 3% par an. Pour limiter le réchauffement à +1.5, on ne doit même pas continuer à exploiter l’intégralité des infrastructures existantes de combustion fossile :

il faudrait fermer certaines infrastructures avant la fin de leur durée de vie !!! L’exploitation de nouveaux gisements d’énergies fossiles est inenvisageable.

AUTRES DÉGÂTS DE L’EXPLOITATION

Inenvisageable aussi parce qu’au changement climatique, s’ajoute la dégradation des milieux de vie en raison des marées noires et des fuites.

Ainsi la liste des accidents pendant le transport maritime des hydrocarbures ne cesse de s’allonger.

2022, Pérou, 2 millions de litres de pétrole échappés, des millions de m2 de terre et de mer souillée dont deux réserves naturelles protégées, mort de milliers d’animaux – dont certains en voie d’extinction, sept mille pêcheurs artisanaux et commerçants sans travail. La responsabilité du groupe Repsol a été reconnue dans un rapport de la commission parlementaire péruvienne.

La poursuite des extractions fossiles ce sont aussi des fuites sur les oléoducs de transport terrestre des hydrocarbures bruts : Fuite à Varsovie en 2022 ; Fuite en Angleterre en 2023. Grosse fuite à Keystone, États-Unis en 2022, 2,2 millions de litres dans les cours d’eaux ! Fuite en Équateur en 2022 : 1 million de litres de pétrole brut en forêt amazonienne, touchant une zone importante pour l’approvisionnement en eau de milliers d’habitants de la région. Ce dernier exemple est particulièrement choquant car prévisible : les fuites des oléoducs dans la région sont récurrentes du fait des glissements de terrain et des chutes de pierres: 15000 barils en 2020, 11000 barils en 2013, 14000 barils en 2009.

La poursuite des extractions fossiles c’est le recours parfois à la technique du fracking, comme en Argentine, entraînant non-respect des droits des communautés autochtones, répression de groupes d’opposants, secret sur les contrats conclus avec les entreprises et sur les produits chimiques utilisés lors des opérations de fracturation hydraulique, fuites et accidents, pollution des eaux souterraines, maladies et malformations tant sur les populations humaines que sur leurs troupeaux, absence de consultations publiques et déplacement des activités agricoles, fructicoles et d’élevage.

FAUSSES ALTERNATIVES

La poursuite des énergies fossiles, c’est également présenter le gaz comme une énergie verte ou de transition. C’est ce que fait la BNP : ses engagements portent sur le pétrole, mais elle continue d’investir massivement dans le gaz.

En fait, le méthane est lui-même un gaz à effet de serre extrêmement puissant, et s’il y a des fuites de méthane de plus 3% lors de son extraction, sa compression ou son transport, le pouvoir réchauffant du méthane devient similaire à celui du charbon si on prend tout son cycle de vie en compte et pas sa seule combustion.

De telles fuites existent, et elles ont été jusqu’à présent sous-estimées. On vient de montrer que les fuites dans les exploitations aux Etats-Unis représentent 2,3% de la production, une valeur 60% plus élevée que celle des inventaires officiels jusqu’à présent.

Et pire que le gaz naturel et ses fuites, il y a le gaz naturel liquéfién le GNL ! En raison des étapes supplémentaires nécessaires à sa fabrication et son transport, les taux observés de fuite sont encore plus forts. Pour une application en tant que combustible dans les transports maritimes, une étude récente montre que, dans l’immense majorité des cas, le GNL conduirait à d’avantages d’émissions que si l’on utilisait le carburant standard !!

Or dans les dernières années, le GNL a suivit un développement sans précédent, poussé par une politique américaine d’exportation de son gaz dans de nombreuses régions du monde, y compris vers l’Europe et la France. Ceci nous enferme donc dans un futur fossile qui n’a rien à envier au charbon en termes de ravages environnementaux et climatiques.

Le rapport du GIEC le dit clairement « Compte tenu des effets potentiels de verrouillage (lock-in) des infrastructures d’approvisionnement en énergie, le passage d’un combustible fossile à un autre est une stratégie limitée et potentiellement dangereuse, à moins qu’elle ne soit utilisée avec beaucoup de précautions et de manière limitée ».

Au contraire, on assiste à un développement non contrôlé, non précautionneux, et sans garde-fous.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES (TOTAL ENERGIES) : EXPLOITATION

En dépit de tout ce que nous venons de dire sur les énergies fossiles, certaines entreprises poursuivent le développement de leurs projets écocidaires.

TotalEnergies, que la BNP finance massivement, fait partie de ces entreprises.

TotalEnergies ce sont des émissions de gaz à effet de serre dues à ses activités d’extraction, de production, et à ses produits vendus équivalentes à l’intégralité des émissions territoriales françaises.

TotalEnergies ce sont des émissions restées quasiment constantes depuis vingt ans, avec une moyenne égale à 360 millions de tonnes de CO2eq par an, et ce malgré les différents accords en faveur du climat qui ont été signés.

TotalEnergies c’est un plan d’investissement qui flèche 66% des millions de $ d’investissement sur ses nouveaux projets de pétrole et de gaz et sur la maintenance des infrastructures d’hydrocarbures.

TotalEnergies ce sont de nouveaux projets d’exploitation comme ceux de Tilenga ou d’EACOP en Ouganda et Tanzanie. Ces projets sont non seulement de véritables bombes climatiques mais aussi des atteintes graves aux populations locales et à leur environnement, dénoncées comme telles par le Parlement européen, qui a dénoncé les violations des droits humains et les risques majeurs pour l’environnement et le climat causés par ces projets. Les phases de construction et d’exploitation auront des incidences graves et délétères pour les populations situées dans les zones d’extraction pétrolière et dans celles de l’oléoduc, portant atteinte aux ressources en eau et en portant un coup irrémédiable aux moyens d’existence des agriculteurs, des pêcheurs et de toutes les personnes tributaires de la richesse des ressources naturelles de la région. La résolution indique que près de 118 000 personnes seront impactées par ce méga-projet pétrolier, et que plus de 100 000 personnes courent le risque imminent d’être déplacées par suite du projet EACOP, privées du libre usage de leurs terres, et donc de leurs moyens de subsistance.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES (TOTAL ENERGIES) : JUSTIFICATION & GREENWASHING

Alors qui sont les éco-terroristes ?

L’exemple de TotalEnergies est révélateur du cynisme de l’industrie fossile vis à vis du changement climatique. TotalEnergies est au courant de l’impact de ses produits sur le changement climatique depuis les années 1970. Elle a mis en place un travail de sape systématique de toute réglementation contraignante avec l’aide de lobbies des autres grandes entreprises fossiles internationales.

Aujourd’hui l’entreprise cherche à se faire considérer comme faisant partie des solutions : elle a recours à des mensonges éhontés ou bien à des techniques plus subtiles afin de « verdir » ses plans d’investissement aux yeux du grand public.

Parmi les mensonges éhontés, l’entreprise a tenté d’instrumentaliser les rapports du GIEC, en affirmant « le rapport du GIEC de 2022 ne dit pas qu’il ne faut plus développer de nouveau champs de pétrole ou de gaz ». Cette affirmation mensongère a été dénoncée par certain·es co-auteur·es du GIEC qui y ont répondu par une tribune en février dernier. TotalEnergies justifie également sa poursuite des projets d’extraction en misant sur le développement futur de techniques de captage et de stockage du CO2, alors que ces dernières seront incapables d’atténuer significativement les émissions de CO2 et ne pourront jamais gérer que des émissions « résiduelles ».

Les ordres de grandeur sont sans appel. La croissance verte ou les solutions technologiques qui permettraient de ne pas remettre en question notre modèle de croissance sont des mythes. Seule une politique de décroissance peut actuellement permettre de respecter l’accord de Paris.

Un des arguments principaux du discours de Total Energie est de reporter sciemment la responsabilité sur les utilisateurs et d’affirmer que l’entreprise ne ferait que « répondre à la demande ». Cet argument est fondé sur une série d’assertions fallacieuses : D’abord, depuis la révolution industrielle, l’offre énergétique a très largement créé sa propre demande en permettant le développement de technologies et d’activités qui ne constituaient aucunement des besoins préalables. Or ce qui compte ce sont bien les besoins et non pas la demande. Assimiler demande et besoins est une confusion majeure, sciemment entretenue. Cela met à égalité le carburant d’un jet privé et celui d’une voiture utilisée pour aller consulter un médecin en zone rurale. Cela évacue un enjeu absolument central quand on recherche la sobriété énergétique : faire l’inventaire des activités essentielles et de celles dont on pourrait – et devrait – se passer pour limiter le désastre climatique.

Aucune transition écologique sérieuse n’aura lieu si l’on ne met pas au coeur des débats politiques la question des modes de vie. Et puis la demande ne légitime pas tout ! Tout ce qui est à vendre n’est pas acceptable ! En effet, lorsqu’un bien ou une activité sont reconnus comme dangereux, il est normal qu’une société en interdise ou en encadre le commerce. Considérerait-on légitime l’argumentation d’un dealer clamant qu’il ne fait que répondre à la demande ?

Enfin, il est souvent affirmé que l’arrêt des exploitations fossiles par telle ou telle compagnie serait inutile puisqu’une autre prendrait aussitôt sa place. Si le constat est juste, il ne doit pas justifier le business-as-usual mais inviter à une réflexion d’ampleur sur une sortie mondiale et coordonnée des fossiles. Par exemple, en s’inspirant des traités de nonprolifération des armes chimiques ou nucléaires ou encore en s’inspirant de l’arrêt concerté de l’utilisation des CFC qui détérioraient la couche d’ozone, et ce en dépit de la résistance de certains industriels concernés.

RESPONSABILITÉ DES ÉTATS

Alors qui sont les éco-terroristes ?

Et avec l’appui de qui ces entreprises continuent-elles à menacer l’habitabilité de notre planète ?

En fait, alors qu’elles mettent en péril les conditions de vie de milliards d’humains et de non-humains, les énergies fossiles restent très généreusement subventionnées par les États et les collectivités.

Le rapport du groupe 3 du GIEC recommande clairement de réorienter les financements du problème (les énergies fossiles) vers les solutions (actions d’atténuation et d’adaptation). C’est pourtant loin d’être le cas. Alors même que les dégâts du changement climatique (canicules, sécheresses, incendies, ouragans) ont été ressentis dans de larges pans du globe, en 2022, les subventions publiques aux énergies fossiles ont atteint le record de 1 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale, d’après un rapport de l’Agence International de l’énergie. Dans la seule Union européenne, ces aides ont atteint 350 milliards de dollars. A titre de comparaison, le fond vert pour le climat - initiative portée par les Nations unies visant à transférer des fonds des pays les plus riches vers les pays les plus vulnérables au changement climatique - peine à atteindre les 10 milliards de dollars pour la période 2020-2023.

Et dans ce triste panorama, la France trouve le moyen de se distinguer : c’est le seul pays européen membre du G20 à avoir, entre 2015 et 2021, augmenté d’un quart son soutien financier au secteur. Lors de la crise énergétique récente, les mesures d’aide mises en place, comme l’aide à la pompe, n’ont pas été ciblées, et ont dans les faits bien plus profité aux tranches les plus aisées de la population. Par ailleurs, ce même rapport souligne encore que ces aides d’urgence ne sont pas allées de pair avec des changements structurels nécessaires.

En présence de faits scientifiques robustes et de leviers d’action identifiés depuis deux à trois décennies, l’inaction n’est plus un défaut de prise de conscience ou d’information : c’est un choix politique.

Ne parlons donc plus d’inaction climatique de la part des États: il semble bien qu’il y ait une action climatique des États, une action climaticide !

RESPONSABILITÉ DES BANQUES (BNP PARIBAS)

Après, les industriel et les Etats, il nous manque le troisième rouage de cette mécanique infernale : les banques qui financent ces projets écocides.

Les banques peuvent injecter de l’argent dans des entreprises fossiles par plusieurs mécanismes. 1. Le prêt pour un projet particulier. 2. L’émission d’obligations, l’obligation étant une fraction de la dette d’une entreprise. 3. L’achat pour des tiers des actions et des obligations d’entreprises déjà émises et échangées sur les marchés financiers. C’est ce qu’on appelle la gestion d’actifs ou asset management dans le milieu. Alors, quand vous ouvrez une assurance-vie, un plan d’épargne en action, la banque fait tout cela avec votre argent. Les montants en jeu sont considérables. Par exemple, BNP Paribas possède des actifs financiers équivalents au PIB de la France.

En France, trois banques se distinguent : BNP Paribas, 10eme rang au niveau mondial pour l’investissement dans les énergies fossiles, 141 milliards $ investis entre 2016 et 2021. Société générale, 21ème rang, 87 milliards $ dans les énergies fossiles. Crédit Agricole, 23ème rang, 76 milliards $ dans les énergies fossiles.

BNP Paribas est la banque française qui investit le plus dans les énergies fossiles.
Elle a par exemple été entre 2016 et 2021 la première au niveau mondial pour le financement du pétrole et du gaz en Arctique et la première au niveau européen pour le financement de l’expansion des énergies fossiles.

En avril 2021, BNP Paribas a rejoint la Net Zero Banking Alliance (NZBA), un programme lancé par les Nations unies pour inciter les banques à participer à la sortie des énergies fossiles. Pourtant, un mois après, alliée à d’autres banques, BNP Paribas a consenti un prêt de 10 milliards de dollars à Saudi Aramco, la société ayant les plus grands projets d’expansion pétrolière et gazière au monde. Près d’un an plus tard, un nouveau prêt de 14 milliards de dollars a été octroyé à la même compagnie. Entre 2016 et 2022, elle a investi 166 milliards de dollars dans le charbon, le pétrole et le gaz : c’est la 11ème au classement des banques mondiales les plus émettrices.

INTERPELLATION DE BNP PARIBAS PAR LES SCIENTIFIQUES

Dans une lettre ouverte publiée le 24 février 2023 dans le journal L’Obs, 600 scientifiques, dont plusieurs co-auteures et coautrices des rapports du GIEC, ont demandé aux membres du Conseil d’administration de BNP Paribas de prendre leurs responsabilités en cessant tout soutien à l’ouverture de nouveaux gisements pétroliers et gaziers. Ces scientifiques demandent à BNP Paribas « d’être à leur écoute, et non pas à l’écoute d’acteurs qui continuent contre vents et marées leur politique de fabrique du doute afin de maintenir le statu quo ». Les scientifiques y interpellaient les quelques membres du CA de BNP Paribas qui se sont engagé·es publiquement pour la sauvegarde de l’environnement, et les appelaient à démissionner si BNP Paribas continuait à soutenir directement ou indirectement l’ouverture de nouveaux gisements d’énergies fossiles.

L’assemblée générale de BNP Paribas aura lieu le 16 mai. Nous, scientifiques, poseront à nouveau au CA de BNP Paribas des questions à ce sujet, et nous en attendons des engagements concrets et à la hauteur des enjeux, et pas un sempiternel greenwashing !

Rappelons aussi qu’une plainte a été déposée le 23 février par trois associations (Les Amis de la Terre, Notre Affaire à Tous et Oxfam), pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales.
Il s’agit du premier contentieux climatique mettant en cause une banque commerciale : les banques, comme les entreprises et les Etats, doivent être tenues pour responsables pénalement des millions de morts que leurs décisions vont causer.

ACTIONS DES SCIENTIFIQUES EN RÉBELLION

Nous scientifiques continuerons à apporter des preuves avec rigueur, à nourrir la réflexion commune, avec méthode, en croisant nos sources, en débattant, en enquêtant, comme nous avons été formés à le faire.

Mais parce qu’à l’évidence cela ne suffit pas à infléchir la trajectoire de notre société, nous nous interposerons aussi. Nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à le faire.

Aujourd’hui même, dans de nombreuses villes de France, BNP Paribas est ciblée pour dénoncer sa collusion avec TotalEnergies et les autres entreprises fossiles dont elle finance les activités.

Dans deux jours, nous convergerons pour une action nationale contre les entreprises qui ouvrent ces nouveaux projets fossiles ou les financent.

Le 16 mai, nous irons à l’AG de BNP Paribas pour écouter les réponses du conseil d’administration à nos questions et à nos demandes d’arrêter de financer les énergies fossiles.

Le 26 mai, nous appelons, comme de nombreux collectifs, à bloquer l’AG de Total Energies. Nous ne pouvons plus tolérer que des décisions mettant en péril l’habitabilité de notre planète soient prises dans l’ambiance feutrée de salons, entre champagne et petits fours.

D’autres dates suivront ; d’autres actions ; encore et encore. Parce que nous n’avons plus ni le choix, ni le temps. Parce que nous ne nous résignons pas à assister à la destruction systématique de cette planète et à l’injustice fait à ses hôtes sans réagir.

Notes

1 Banking On Climate Chaos, 2023 : Rainforest Action Network, BankTrack, Indigenous Environmental Network, Oil Change International, Reclaim Finance, Sierra Club, Urgewald. Banking On Climate Chaos 2023 report.

2 Rapport GIEC, WG1 section TS.3.3.1, Table TS.3 (2021).

3 Kühne et al, « Carbon Bombs - Mapping key fossil fuel projects », Energy Policy, 2022.

4 « Uganda’s pipeline plans face stiff opposition », Oxford Analytica, 2022.

5 Rapport GIEC, AR6, WG1 Box TS.5 (2021).

6 Bonneuil et al., Global Environnement Change, 2021.

7 TotalEnergies, « Plus d’énergies, moins d’émissions », mars 2023. Voir aussi son communiqué de presse

8 Meadows, D., Meadows, D., Randers, J., & Behrens III, W. W. (2012). Les limites à la croissance. Rue de l’échiquier, Paris.

9 Parrique, T., Barth, J., Briens, F., Kerschner, C., Kraus-Polk, A., Kuokkanen, A., & Spangenberg, J. H. (2019). Decoupling debunked. Evidence and arguments against green growth as a sole strategy for sustainability. A study edited by the European Environment Bureau EEB.

10 Bonneuil, C., & Fressoz, J. B. (2013). L’événement Anthropocène: la Terre, l’histoire et nous. Média Diffusion.

11 Sekera, J., & Lichtenberger, A. (2020). Assessing carbon capture: Public policy, science, and societal need: A review of the literature on industrial carbon removal. Biophysical Economics and Sustainability, 5, 1-28.

12 Parrique, T. (2022). Ralentir ou périr: l’économie de la décroissance. Seuil.

13 Bonnet, E., Landivar, D., & Monnin, A. (2021). Héritage et fermeture: une écologie du démantèlement. Éditions divergences.

14 L’Atelier Paysan (2022), Reprendre la terre aux machines. Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire. Paris: Le Seuil, coll.«Anthropocène», 2021. Revue d’anthropologie des connaissances, 16(16-4).

15 Nova, N., & Roussilhe, G. (2020). Du low-tech numérique aux numériques situés. Sciences du Design, 11(1), 91-101.

16 Collectif Atécopol (2022) Débrancher la 5G ? Enquête sur une technologie imposée. Écosociété.

17 Le Goff, J. (2015). Alain Supiot. La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014) Fayard, 2015, 512 (6), 90-91.

18 Descola, P., & Pignocchi, A. (2022). Ethnographies des mondes à venir. Editions Seuil.