2024-10-07

Des membres d’Extinction Rebellion et de Scientifiques en rébellion relaxé·es au nom de l’état de nécessité après une action alertant sur l’effondrement de la biodiversité et l’urgence climatique

Dans la soirée du 9 au 10 avril 2022, une trentaine de scientifiques et militant·es s’installaient dans une galerie du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), à Paris, pour alerter sur la perte de la biodiversité et la crise climatique au travers d’une conférence-occupation intitulée « La nuit de l’Extinction ». Au cours de cette occupation, commencée peu avant la fermeture du musée pour ne pas gêner le public, il n’y eut aucune dégradation ni violence mais une série de conférences sur le risque d’extinction de la biodiversité, retransmises en direct sur les réseaux sociaux, et une banderole où il était écrit que « Dire la vérité n’est pas un crime ». Les participants et participantes ont quitté les lieux dans le calme à l’issue des présentations scientifiques.

Conférence-occupation au Muséum national d’histoire naturelle, avril 2022.

La vidéo complète des conférences est disponible ici et des images ici.

Ce fut la première action de désobéissance civile organisée en France par le collectif Scientifiques en rébellion, formé après l’appel de 1000 scientifiques à la désobéissance civile publié dans le journal Le Monde en février 2020, en association avec Extinction Rebellion (XR). Cette action s’inscrivait dans le cadre d’une campagne internationale de Scientist Rebellion et annonçait également la campagne d’XR qui allait suivre avec, notamment, l’occupation d’une partie des Grands Boulevards pendant le week-end du 16 avril 2022.

Le MNHN a porté plainte, suscitant une vague de soutien à l’action des activistes en interne, mais ne s’est pas porté partie civile au procès. Une pétition de soutien de membres du MNHN et de l’enseignement supérieur et de la recherche a été signée par plus de 30 000 personnes.

En janvier 2024, huit militant·es ayant participé à cette action avaient déjà été relaxé·es pour infraction non caractérisée lors d’un premier procès. Le 26 septembre 2024, quatre autres militant·es étaient jugés au Tribunal de Police de Paris. Plusieurs scientifiques de grande notoriété ont témoigné devant le tribunal en soutien aux militant·es tels Pierre-Henri Gouyon (biologiste, Muséum national d’histoire naturelle), Christophe Bonneuil (historien des sciences, CNRS) et Fabrice Flipo (philosophe des sciences, Institut Mines Telecom). Une lettre de la climatologue et ancienne co-présidente du groupe 1 du GIEC Valérie Masson-Delmotte a été jointe au dossier. Ces intervenants insistaient sur les multiples rapports intergouvernementaux du GIEC, IPBES et IUCN sur le consensus scientifique au sujet de la perte de la biodiversité et l’urgence climatique. L’avocat de la défense, Me Thomas Bredillard, a développé un argumentaire insistant sur la non-caractérisation des faits, sur l’état de nécessité et la liberté d’expression.​​​​​​​

Le juge a relaxé les quatre militant·es au nom de l’état de nécessité, décrit de la manière suivante à l’article 122-7 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

Si le danger est démontré dans les rapports cités ci-dessus, l’argument de « l’imminence et l’actualité » est caractérisé, entre autres, par les inondations nombreuses dont ont été victimes les citoyens du Nord et du Sud de la France cette année, inondations rendues plus fréquentes et plus intenses​​​​​​​ par le dérèglement climatique. Les moyens utilisés par les scientifiques étaient en rapport avec leur mission et la gravité de la menace : des conférences pour alerter. Par leur action, les scientifiques mettaient en exergue comment l’activité humaine agit directement ou indirectement, notamment via le changement climatique, sur la perte de la biodiversité. ​​​​​Pourtant, le parquet a refusé de prendre en compte ces arguments et a fait appel.

Il est important de noter que plusieurs jugements ont déjà reconnu l’état de nécessité (e.g. le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron à Lyon ou l’action d’Extinction Rebellion dénonçant l’agroindustrie à La Rochelle), soulignant la légitimité de ces actions. Cependant, à chaque fois, le parquet a fait appel. Comment comprendre que, cette fois encore, le parquet ait interjeté appel de la décision du tribunal de police ? Comment peut-il contester la validité des faits présentés par les scientifiques ? Comment être sourd et aveugle à la détresse de nos concitoyen·es confrontés actuellement aux dangers résultant des conséquences des dérèglements démontrés par les études scientifiques ? Comment contester la mission de scientifiques qui alertent sur les dangers avérés qui pèsent sur l’ensemble de la planète ? Confronté·es à une situation aussi grave, le fait d’occuper un lieu de médiation scientifique pour communiquer au sujet de la biodiversité et du climat sans dégradation ni violence n’est certainement pas disproportionné par rapport à la menace. Une répression s’inscrivant dans un déni des faits scientifiques compromet l’avenir de nos enfants et petits-enfants et s’oppose aux besoins immédiats de la population. Il ne faudrait pas que l’histoire retienne qu’en plein « effondrement climatique » (selon les mots du Secrétaire général de l’ONU), la France était plus occupée à s’acharner sur les scientifiques qu’à prendre des mesures à la hauteur de l’urgence.

Si ce jugement en première instance en France est indéniablement une victoire pour la défense de la biodiversité, le comportement du parquet s’inscrit dans une politique de répression anti-mouvements environnementaux qui est, selon le rapporteur spécial des Nations Unies Michel Forst, une « menace majeure pour les droits humains et la démocratie​​​​​​​ » dans de nombreux pays européens. Ce n’est pas la première fois que des scientifiques sont visé·es. En octobre 2021, un astrophysicien a été poursuivi avec six autres activistes pour s’être introduit sur le tarmac de l’aéroport de Roissy afin de dénoncer le caractère climaticide de l’extension du terminal 4, une action à laquelle participaient d’autres membres de Scientifiques en rébellion. En novembre 2022, 16 scientifiques (dont 4 Français) ont été emprisonné·es pendant une semaine en Allemagne pour s’être collé les mains à des automobiles de luxe dans un showroom BMW à Munich, dans le cadre d’une campagne internationale de Scientist Rebellion. Une tribune de soutien sur France TV Info avait alors été signée par 1300 scientifiques. Leur procès s’est ouvert le 5 mars 2024, et a été ajourné à l’automne 2024 ou au printemps 2025 (plus d’informations ici).

La répression des scientifiques n’est qu’une illustration de la stratégie de criminalisation des mouvements sociaux et notamment des mouvements écologistes par le gouvernement, qui frappe aussi bien les actions de désobéissance civile que les manifestations plus classiques. Il est important que la justice française soit une source d’espoir pour les générations futures en soulignant que, plutôt que de condamner les scientifiques, il vaut mieux les écouter.