2024-03-06

Des scientifiques jugé.es pour des manifestations en faveur du climat à Munich

Les accusé.es attendent le juge avant le procès au tribunal de district de Munich.

Six activistes climatiques français.es, dont cinq scientifiques, ont participé le 5 mars à leur procès au tribunal de district de Munich. Ils et elles doivent répondre de plusieurs chefs d'accusation, notamment de dégradation, d’instrusion et de coercition, à la suite d’actions non-violentes dans les bureaux du fond d’investissement BlackRock, à une intersection bloquée au centre de Munich, et dans le salon d’exposition BMW. Ces actions ont été menées au sein du collectif Scientist Rebellion en octobre 2022. Leurs arrestations à ce moment-là, impliquant 20 personnes au total, avait déjà été suivies de détentions préventives durant jusqu’à 6 jours. Le procureur avait requis des amendes individuelles allant jusqu'à 12 800 euros, pouvant être commuées en 5 mois de prison.

Pendant l’audience, les six prévenus ont d’abord refusé de conclure un accord de réduction de peine sans examen approfondi du dossier. Ils et elles ont ensuite pris le temps de faire des dépositions individuelles, saisissant cette occasion pour offrir au juge des éclairages complémentaires sur leur trajectoire personnelle ; l'urgence climatique et de ses conséquences catastrophiques sur les humains et non-humains ; leur détresse face à l'inaction des gouvernements et entreprises ; l'irresponsabilité de BlackRock dans le financement massif et assumé des combustibles fossiles et de BMW dans la production de voitures et d’imaginaires trompeurs sur la mobilité individuelle ; la fausse durabilité et le greenwashing ; ainsi que la légitimité des actions de désobéissance civile non-violentes comme un devoir éthique des scientifiques, protégé par la liberté d'expression.

Les avocats de la défense ont ensuite demandé une expertise approfondie sur les dommages demandés par Blackrock et BMW. En effet, les coûts de plusieurs dizaines de milliers d'euros sont selon la défense exagérés étant donné l’utilisation durant les actions de mélasse et de colle facilement lavables. Le juge a accepté cette demande de preuve, ajournant le procès après 4 heures d’audience. Le tribunal fixera la date d'un nouveau procès requérant la présence des prévenus, qui devrait se tenir à l'automne 2024 ou au printemps 2025.

Manifestation devant le palais de justice en soutien aux accusés, au matin du procès.

A la sortie du tribunal, les activistes ont profité de leur présence à Munich pour se rendre au musée d’exposition BMW en tant que “simples visiteur.ses”, se prenant en photos devant plusieurs modèles, dont la fameuse M8 visée durant leurs actions de 2022 (et remplacée depuis). Au hasard de la présence d’un groupe d’adolescent.es français.es en visite et intriguées par les blouses blanches, les scientifiques leur ont expliqué les raisons de leur action : la température de la terre a déjà dépassé de 1,1°C les températures préindustrielles ; iels ont rappelé la contribution de l'industrie automobile ainsi que la nécessité pour les gouvernements de prendre des mesures d'urgence pour lutter contre le changement climatique. Visiblement alarmés, les agents de sécurité du musée ont rapidement demandé aux scientifiques de quitter les lieux, déclarant qu'il était interdit de porter dans ces lieux des vêtements montrant des logos liés à l'activisme.

Un membre francais de Scientist Rebellion dans la salle d'exposition BMW après le procès.

Lors d'un blocage de rue à Munich en octobre 2022, Hugo Raguet, mathématicien et informaticien, avait plaidé: "Qu'est-ce que je suis censé leur dire [à mes enfants] ? Je le sais, je le documente [les faits concernant la crise climatique]. ... C'est de la p[*]tain de science. ... Mes enfants doivent y faire face. Et ça va être terrible, d'accord ? Il est vraiment important que vous compreniez que c'est vrai. ... D'accord, on vous énerve [avec ce blocage de route], mais on a une très bonne raison pour ça. Des milliards de personnes vivent là-bas [dans des zones rendues inhabitables par la crise climatique], et lorsqu'elles verront qu'elles ne peuvent plus vivre dans leur pays d'origine, que croyez-vous qu'elles feront ? Bien sûr qu'ils vont se tourner vers nous. Et à +2° C nous ne pourrons déjà plus faire face à nos propres problèmes. C'est écrit explicitement dans le résumé du rapport du GIEC à l'intention des décideurs politiques : notre trajectoire actuelle, avec les lois que nous avons, ce n'est pas 2 degrés, c'est 3,2 p[*]tain de degrés. Ce sera la famine et la guerre partout, y compris ici en Bavière".

Les activistes, ainsi que Scientifiques en rébellion, dénoncent par ailleurs les peines très sévères et disproportionnées demandées par la justice bavaroise, participant à la criminalisation des actions non-violentes attirant l’attention sur l’urgence climatique et écologique. Une dynamique dangereuse à laquelle participent plusieurs états européens et une partie du paysage médiatique en France et ailleurs, comme illustré dans un nouveau rapport de Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseurs de l'environnement, publié le 28 février dernier. Ce texte de positionnement intitulé « Répression par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementales : une menace majeure pour les droits humains et la démocratie » préconise aux États de veiller à ce que les décisions de justice ne contribuent pas à restreindre la liberté d’expression.


Scientist Rebellion est un mouvement international de scientifiques et d'universitaires de plus de 32 pays qui appellent à la désobéissance civile pacifique face à l'échec politique de la crise climatique. Sa branche française Scientifiques en rébellion comprend plus de 400 membres et 2000 sympathisant.es.

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