2024-07-22

Les Scientifiques en rébellion au Village de l’Eau (Melle, Deux-Sèvres)

Nous étions une trentaine de membres de Scientifiques en rébellion au Village de l’Eau, entre le 16 et le 21 juillet 2024 à Melle (Deux-Sèvres). Nous y avons vécu une semaine intense, entre tables rondes de très grande qualité, ateliers, partage d’expérience sur les luttes pour défendre le vivant à travers le monde – et faux procès des méga-bassines que nous avons animé devant une salle comble et enthousiaste.

Nous souhaitons vous partager nos impressions à chaud après la clôture de cet événement.

L’enjeu de la semaine était de mettre la lumière sur plusieurs points névralgiques du complexe agro-industriel, avec son emblématique filière du maïs destiné à l’export, et de dénoncer l’accaparement de l’eau qui prétend en assurer la productivité en contexte de changement climatique. Lors d’une tribune publiée au printemps 2023, nous avions expliqué pourquoi un moratoire sur les projets de méga-bassines est nécessaire. Aux côtés des organisateurs du Village de l’Eau, nous réitérons cet appel à moratoire. Après les manifestations agricoles de début 2024, nous pensons plus que jamais qu’une profonde réforme du système agricole et alimentaire s’impose, comme décrit et recommandé dans plusieurs rapports récents de l’ANSES, de l’INRAE et du Haut Conseil pour le Climat.

Cette magnifique semaine de l’eau s’est déroulée sous le harcèlement continu des forces de l’ordre : barrages routiers mobilisant en continu des centaines de gendarmes pendant toute la semaine, contrôles d’identité systématiques aux abords du village, saisies arbitraires de matériel (camping- gaz, opinel, arceaux et sardines de tente, équipements de protection individuels, etc.) ; survol continu du village par les drones de la gendarmerie ; survol par hélicoptère nuit et jour au-dessus du camping. En dépit de ces tentatives d’intimidation visant à décourager toute forme d’organisation collective, 40 000 visiteurs et visiteuses ont rejoint le Village de l’Eau au cours de la semaine.

Lors de la marche organisée depuis le centre-ville de La Rochelle vers le port industriel de La Pallice qui a rassemblé près de 10 000 personnes, nous avons été nassé·es et chargé·s par les forces de l’ordre, comme de nombreuses autres personnes situées à l’arrière du cortège. Un de nos membres a été lourdement matraqué par les forces de l’ordre et souffre de contusions. Nous dénonçons fermement le détournement de l’appareil d’État pour maintenir en place un système agro-industriel mortifère et à bout de souffle, quitte à blesser, réprimer et harceler toutes les personnes qui le critiquent.

Nous pensons qu’il est important pour la démocratie que nous soyons présent·es à ces événements pour les documenter de l’intérieur. De la part du sommet de l’État, les questions de protection de la nature et de justice sociale engendrent déni, dénigrement et mensonges. Durant toute la semaine, nous avons pu constater le gouffre abyssal entre d’une part les discours incendiaires du ministre de l’Intérieur, M. Darmanin, qui présentait le Village de l’Eau comme le rendez-vous de milliers « d’extrémistes radicalisés », et d’autre part la réalité tantôt studieuse, tantôt festive : tables rondes, formations, assemblées, activités pour les enfants, concerts de chants polyphoniques, balades naturalistes sur le site où 18 espèces de chauve-souris, la loutre, ainsi que 16 espèces de libellule ont été identifiées. Sur le Village, solidarité et fraternité-sororité n’ont pas été de vains mots, comme en témoignent les 20 collectifs regroupés pour mettre en place une méga-cantine participative pour 42 000 repas servis, la boulangerie mobile préparant 5 tonnes de pain durant la semaine, 6 000 sandwiches préparés pour la manifestation du samedi. Partout, le respect, le soin et la solidarité étaient au cœur des préoccupations. Durant toute la semaine, face à cette formidable expérience collective, le ministre de l’Intérieur joignait le dénigrement aux mensonges systématiques en prétendant que la justice était du côté des promoteurs des méga-bassines, alors que ceux-ci sont déboutés mois après mois (permis annulés, restrictions sur les volumes d’eau prélevée).

Ces dernières semaines, comme de nombreuses autres organisations, nous alertions sur le danger majeur pour la démocratie qu’aurait représenté un gouvernement d’extrême-droite. Depuis le Village de l’Eau, nous avons pu constater qu’une partie des élites politiques est déjà entrée de plain-pied dans l’ère de la post-vérité, où un monde virtuel se construit dans les médias pour justifier une démesure répressive face à toute contestation sérieuse d’un modèle à bout de souffle. Nous sommes convaincus qu’il est vital pour la démocratie que les scientifiques continuent à jouer leur rôle de contre-pouvoir, et à le faire collectivement de manière beaucoup plus claire et affirmée.

Ce que nous avons vécu en immersion au Village de l’Eau est à l’image de la société que nous aspirons à construire : non-violente, respectueuse de toutes les diversités, consciente de l’interdépendance entre autonomie collective et émancipation, attentive à toutes les formes de savoirs, y compris autres que scientifiques, vivante, joyeuse et solidaire.

Chacune de nos participations à ces luttes nous le confirme : pour nous, la place des scientifiques est au côté de celles et ceux qui luttent pour le vivant. Les valeurs auxquelles nous tenons y sont incarnées dans chaque geste. Nous pensons aussi que la surenchère répressive et la violence des discours venant du plus haut sommet de l’État contre les mouvements écologistes ne doit pas décourager l’engagement, bien au contraire. Nous appelons nos collègues scientifiques à venir plus nombreuses et nombreux à chaque nouveau rassemblement de cette nature, et à mobiliser leur expertise et leur liberté académique pour documenter et renforcer ces luttes. Une fois de plus, nous avons pu expérimenter que le jeu en vaut largement la chandelle, et que la défense de la démocratie et de l’intérêt général sont bien de ce côté-ci du cordon policier.