2024-02-03

Productivisme et destruction de l’environnement : FNSEA et gouvernement marchent sur la tête

Répondre à la détresse des agriculteurs et agricultrices est compatible avec le respect de l’environnement et de la santé publique, expliquent, dans une tribune publiée dans L’Obs, les Scientifiques en rébellion, à condition de rejeter les mesures productivistes et rétrogrades du duo FNSEA-gouvernement.

La crise de l'agriculture brasse croyances, savoirs, opinions, émotions. Elle ne peut laisser quiconque insensible tant elle renvoie à l’un de nos besoins fondamentaux – se nourrir – et témoigne du désarroi profond d’une partie de nos concitoyen·nes qui travaillent pour satisfaire ce besoin. Reconnaître la souffrance et le désarroi du monde agricole n'empêche pas d'examiner les faits et de tenter de démêler les responsabilités dans la situation actuelle. Une partie de son traitement médiatique tend à faire croire que les agriculteurs et agricultrices parleraient d'une seule voix, celle du président agro-businessman de la FNSEA Arnaud Rousseau. Ce directeur de multinationale, administrateur de holding, partage-t-il vraiment la vie de celles et ceux qui ne parviennent plus à gagner la leur par le travail de la terre ? Est-ce que les agriculteur·ices formeraient un corps uniforme, qui valoriseraient le productivisme au mépris des enjeux environnementaux qu'ils et elles ne comprendraient soi-disant pas ? Tout cela est difficile à croire.

Ce que la science documente et analyse invariablement, en complément des savoirs et des observations de nombre d’agriculteur·ices, c'est que le modèle agricole industriel et productiviste conduit à une catastrophe sociale et environnementale. Que ce modèle concurrence dangereusement les alternatives écologiquement et socialement viables. Que cette agriculture ne s'adaptera pas indéfiniment à un environnement profondément dégradé. Qu’elle ne s’adaptera pas à un réchauffement climatique de +4°C pour la France et une ressource en eau fortement diminuée, pas plus qu’à une disparition des insectes pollinisateurs.

Actuellement, comme le rappelle le Haut Conseil pour le Climat (HCC), l’agriculture représente le 2e secteur d’émissions de gaz à effet de serre, avec 18% du total français, derrière les transports. La moitié de ces émissions agricoles (en équivalent CO2) provient de l’élevage bovin à cause du méthane produit par leur digestion, 14% des engrais minéraux qui libèrent du protoxyde d’azote et 13% de l’ensemble des moteurs, engins et chaudières agricoles. Le HCC rappelle aussi que la France s’est engagée lors de la COP26 à baisser de 30% ses émissions de méthane d’ici à 2030, pour limiter le réchauffement climatique. L’agriculture, bien que répondant à un besoin fondamental, doit aussi revoir son modèle dominant pour répondre aux enjeux climatiques. De ce point de vue, ce qu’indique la science, c’est que, si l’on souhaite faire notre part dans le respect de l’accord de Paris, la consommation de viande et de produits laitiers doit diminuer en France. Mais la solidarité avec nos agriculteur.ices ainsi que l’objectif légitime de souveraineté et résilience alimentaire nous indiquent que ce sont les importations et les élevages intensifs de ruminants qui devraient diminuer en premier.

Côté biodiversité, la littérature scientifique montre que l’usage des pesticides est la deuxième cause de l’effondrement des populations d’insectes, qui atteint 80% dans certaines régions françaises. Les oiseaux sont en déclin global de 25% en 40 ans, mais ce chiffre bondit à 60% en milieux agricoles intensifs : le printemps est devenu particulièrement silencieux dans certains champs...

Le paradoxe est que ces bouleversements environnementaux menacent particulièrement les agriculteur·ices, pour au moins trois raisons bien identifiées. Tout d’abord environnementale, à cause du manque d’eau, de la dégradation des sols, des évènements météorologiques extrêmes (incendies ou grêles), ou du déclin des insectes pollinisateurs, qui se traduisent par une baisse de production. Sanitaires, ensuite : par leur exposition aux produits phytosanitaires, ils et elles ont plus de risque de développer des cancers (myélome multiple, lymphome) et des maladies dégénératives. Financière enfin, avec l’interminable fuite en avant du surendettement, provoqué par la nécessité d’actualiser un équipement toujours plus performant et d’acheter des intrants pour pallier les baisses de production engendrées par la dégradation environnementale.

Depuis des décennies, les traités de libre-échange et la compétition intra-européenne ont privé la grande majorité des agriculteur·ices de leur autonomie, dans un cercle vicieux aux répercussions sociales tragiques pouvant mener au suicide. Si la FNSEA, les JA, ou la Coordination Rurale réclament une forme de protectionnisme agricole, d’autres de leurs revendications portent en revanche sur une baisse des contraintes environnementales et sanitaires qui font porter le risque de la poursuite d’un modèle délétère sur le long-terme. Ce sont justement ces revendications que le gouvernement a satisfait avec, en particulier, la « suspension » du plan Ecophyto, accueilli par un satisfecit de ces trois organisations syndicales rappelant immédiatement « leurs » agriculteurs à la ferme. Seule la Confédération Paysanne refuse ce compromis construit au détriment de l’écologie.

Pourtant, des pratiques et des modèles alternatifs existent, réduisant significativement les émissions de gaz à effet de serre et préservant la biodiversité ; ils sont déjà mis en œuvre par des agriculteur·ices qui prouvent chaque jour que d’autres voies sont possibles. Mais ces alternatives ont besoin d’une réorientation des politiques publiques (qui contribuent aujourd’hui pour 80% au revenu agricole). Des propositions cohérentes de politiques publiques répondant à des enjeux clés (rémunération digne des agriculteur·ices non soumis aux ‘trusts’ de la grande distribution, souveraineté alimentaire, considérations climatiques et protection de la biodiversité) existent, comme les propositions relevant de l’agro-écologie, qu’elles émanent du Haut Conseil pour le Climat, de la fédération associative Pour une Autre PAC, de l’IDDRI, ou encore de la prospective INRAE de 2023 : baisse de l’élevage industriel et du cheptel notamment bovin avec soutien à l’élevage extensif à l’herbe, généralisation des pratiques agro-écologiques et biologiques basées sur la valorisation de la biodiversité (cultures associées, agroforesterie, restauration des haies favorisant la maîtrise des bio-agresseurs) et arrêt des pesticides chimiques de synthèse. Ces changements de pratiques doivent être accompagnés de mesures économiques et politiques permettant d’assurer le revenu des agriculteur·ices, leur accès à la terre et leur formation, en cohérence avec ce que proposent des syndicats, des associations ou des réseaux (Confédération paysanne, Atelier paysan, Terre de liens, Fédérations nationale et régionales d’Agriculture Biologique, Réseau salariat...).

Nous savons donc que les politiques qui maintiennent le modèle agro-industriel sous perfusion ne font qu'empirer les choses et qu’une réorientation complète est nécessaire et possible pour la survie, la dignité, la santé et l’emploi des agriculteur·ices. Nombre d’enquêtes sociologiques indiquent qu’une bonne partie d’entre elles et eux le savent très bien, et que leur détresse témoigne aussi de ce conflit interne entre le modèle productiviste qui les emprisonne et la nécessité de préserver l'environnement.

Si le gouvernement convient que « les premières victimes du dérèglement climatique sont les agriculteurs », les mesures prises démontrent que la priorité gouvernementale est de sanctuariser le modèle agro-industriel. La remise en cause du plan Ecophyto, et la reprise en main de l’Anses notamment, sont en totale contradiction avec l’urgence de s’attaquer à la dégradation environnementale couplée à celle des conditions de vie et de travail des agriculteur·ices.

Nous appelons les citoyen·nes et les agriculteur·rices à soutenir les changements de politique qui iraient réellement dans l’intérêt général, du climat, de la biodiversité. Nous rappelons que le sujet de l’agriculture et de l’alimentation est d’une redoutable complexité, et qu’identifier les mesures les plus pertinentes devrait être réalisé collectivement et démocratiquement. Ces mesures devraient privilégier l'intérêt général et à long-terme, par exemple dans le cadre de conventions citoyennes dont les conclusions seraient réellement traduites dans la législation, a contrario de la précédente convention citoyenne pour le climat.