Pour clôturer leur COP alternative, les Scientifiques en rébellion donnent des conférences dans les rues de Bordeaux et redécorent une agence Crédit Agricole
Ce dimanche 3 décembre, jour de clôture de leur COP alternative organisée à Bordeaux, une trentaine de Scientifiques en rébellion ont donné des conférences dans les rues du centre-ville de Bordeaux, accompagné·es par une batucada. Certain·es portaient des banderoles ciblant les énergies fossiles et la COP de Dubaï, d’autres distribuaient des tracts au public, tandis que des orateur·ices se succédaient pour donner des conférences. Leurs messages principaux : dénoncer la mascarade de cette COP 28 et l’inaction climatique ; rappeler la nécessité de ne plus ouvrir ni financer de nouveaux sites et infrastructures liées à l’extraction de pétrole et de gaz ; souligner l’importance de traiter des enjeux liés à la biodiversité conjointement avec les enjeux climatiques. Après la fin des conférences, un groupe de scientifiques est allé recouvrir d’articles scientifiques l’agence Crédit Agricole située place de la Victoire, pour rappeler le rôle majeur des principales banques françaises dans le financement des nouveaux projets pétro-gaziers, et les appeler à les stopper.
Les scientifiques ont commencé à 9h30 par des interventions place de la Victoire, avant de se diriger une heure après, suivant une batucada, vers le marché des Capucins. Ils ont alors à nouveau pris la parole devant de nombreux passants venus faire leur marché. Lors de leurs prises de parole, les scientifiques ont rappelé le consensus scientifique sur le fait que les nouveaux projets pétro-gaziers ne sont pas compatibles avec le respect de l’Accord de Paris sur le climat, dont l’objectif est de limiter le réchauffement de la planète bien en dessous de +2°C et si possible +1.5°C. En raison du nombre de morts que vont causer ces nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles, certain·es scientifiques les appellent les bombes climatiques, ou bombes carbone.
Les scientifiques ont ensuite ciblé le Crédit Agricole, en recouvrant la vitrine de l’agence de la place de la Victoire d’articles scientifiques sur les bombes climatiques. La banque reste le premier financeur de Total Energies : entre 2016 et 2021, ce soutien a représenté plus de 7 milliards de dollars. De plus, Amundi, la filiale de gestions d’actifs du Crédit Agricole, est le premier actionnaire de Total Energies (14 milliards d’euros). Amundi a réaffirmé son soutien à l’entreprise en mai dernier en votant pour le plan climat de Total Energies, validant ainsi sa stratégie expansionniste, qui permet le développement de nouveaux projets tels que EACOP.
Le Crédit Agricole n’est pas la seule banque française à financer massivement l’expansion des énergies fossiles : BNP Paribas et la Société Générale le font également. Il est ainsi estimé que le financement d’entreprises pétro-gazières investissant dans les bombes climatiques a été en 2022 de 7,4 milliards pour BNP Paribas, 6,4 milliards pour le Crédit Agricole, et de 3,7 milliards pour la Société Générale1.
Cette action de Scientifiques en rébellion fait suite à d’autres alertes déjà lancées par le collectif sur le financement des bombes climatiques. Ainsi, à l’initiative du collectif, 600 scientifiques – dont plusieurs co-auteur·ices du GIEC – avaient publié en février dans L’Obs une lettre ouverte demandant au conseil d’administration de BNP Paribas de ne plus financer directement ou indirectement de nouveaux projets fossiles. Lors de l’assemblée générale de BNP Paribas (le 16 mai 2023), les scientifiques étaient intervenu·es pour rappeler à BNP Paribas que des réponses à la hauteur des enjeux étaient attendues.
Cette journée a été organisée dans le cadre d’une campagne internationale menée par le collectif Scientist Rebellion. Des actions ont lieu en lien avec la COP 28 dans plusieurs pays du monde, avec comme slogan « How much more climate failure can we take ? ». La priorité pour respecter l’Accord de Paris étant la sortie des énergies fossiles, les scientifiques en rébellion considèrent comme inadmissible et grotesque que la présidence de la COP 28 soit confiée à un magnat du pétrole. Ils et elles appellent à un accord international sur l’arrêt total de l’exploitation de nouveaux gisements.
Photos
Des photos sont disponibles sur un dossier partagé, que vous pouvez réutiliser librement, avec crédit photos « Scientifiques en rébellion » ou « Collectif Résigraphies » (voir dans chaque sous-dossier) : https://cloud.le-pic.org/s/w3tDCoFBFnLc6DC
Le reste du document donne des détails sur les constats scientifiques justifiant ces actions.
Émissions des infrastructures fossiles et bombes climatiques
Différents collectifs militent contre le financement des énergies fossiles en raison de l’urgence climatique à laquelle nous faisons actuellement face. Pour respecter l’Accord de Paris et ne pas dépasser une élévation de la température à + 1.5°C, il faut drastiquement réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Actuellement, les chercheurs estiment par exemple que pour avoir une forte probabilité de respecter l’Accord de Paris, une quantité limitée de CO2 doit être rejetée dans l’atmosphère. Plus précisément, ce « budget carbone restant » s’élève à environ 300 Gt de CO2 pour rester en dessous de +1.5°C de réchauffement et environ 900 Gt de CO2 pour espérer rester en deçà de 2°C2. Au rythme actuel d’émissions de CO2 (40 Gt CO2 par an), ce budget s’amenuise très rapidement année après année.
Les scientifiques utilisent aujourd’hui le terme de « bombes climatiques » pour qualifier les infrastructures fossiles en projet qui vont émettre plus d’un milliard de tonnes de CO2 au cours de leur existence. Pourquoi ? Parce que les énergies fossiles sont la première cause de libération de CO2 dans l’atmosphère, et que ces émissions vont causer des dizaines ou centaines de millions de morts à cause de la hausse de température résultante. 425 « bombes climatiques » ont été répertoriées dans le monde3. Du fait de la hausse de température qu’elles généreront et en utilisant nos connaissances actuelles sur le taux de mortalité associé, on peut estimer que chaque bombe climatique causerait au minimum la mort de 200 000 personnes entre maintenant et la fin du siècle. 200 000 ! Le projet EACOP émettrait par exemple à lui seul 34,3 millions de tonnes de CO2 par an pendant au moins 20 ans, ce qui pourrait causer 150 000 morts d’ici à la fin du siècle4.
Face à ces constats, les multinationales des énergies fossiles sont appelées à réduire leur extraction d’hydrocarbures et de charbon, dont la combustion contribue massivement aux émissions de GES5. Pourtant, elles adoptent la tendance inverse : par exemple, TotalEnergies, qui depuis les années 1970 cherchait à dissimuler l’impact des énergies fossiles sur le réchauffement climatique6, prévoit aujourd’hui d’augmenter de 25 % ses extractions gazières d’ici 2030 et d’allouer toujours 70 % de ses investissements aux hydrocarbures sur la période 2022-20257.
Les autres impacts des infrastructures fossiles
En plus de représenter une source importante d’émissions de GES, les énergies fossiles ont d’autres conséquences dramatiques sur l’environnement. L’exploitation et le transport des hydrocarbures et du charbon se fait tout d’abord au détriment des populations locales, qui subissent les dégradations de leur milieu de vie. Le projet EACOP en est un exemple révélateur. Ce projet porte notamment atteinte aux ressources en eau et aux moyens d’existence des agriculteurs, des pêcheurs et de toutes les personnes tributaires de la richesse des ressources naturelles de la région. Une résolution d’urgence du parlement européen indique que près de 118 000 personnes seront affectées par ce méga-projet pétrolier, que plus de 100 000 personnes courent le risque imminent d’être déplacées par suite du projet EACOP (privées du libre usage de leurs terres, et donc de leurs moyens de subsistance).
L’exploitation et le transport des énergies fossiles représentent aussi une menace importante pour les écosystèmes et la biodiversité. Les accidents pendant le transport maritime d’hydrocarbures s’accompagnent de lourds dégâts, avec comme exemple récent la marée noire survenue en janvier 2022 sur plus de 40 km du littoral de la côte centrale péruvienne. Les douze mille barils de pétrole échappés, soit 1,9 millions de litres de pétrole, ont pollué durablement deux réserves naturelles protégées, entraînant la mort de milliers d’animaux – dont certains en voie d’extinction – et laissent sept mille pêcheurs artisanaux et commerçants sans travail. Un dernier exemple d’impact concerne les risques de fuites sur les oléoducs de transports terrestres. En 2022, l’oléoduc de Keystone (Etats-Unis) a déversé 2,2 millions de litres de pétrole dans les cours d’eau, tandis qu’un oléoduc en Équateur a déversé 1 million de litres de pétrole dans la forêt amazonienne.
1 « Ces bombes carbone qui menacent le climat », Le Monde, mercredi 1er-jeudi 2 novembre 2023.
2 Rapport GIEC, WG1 section TS.3.3.1, Table TS.3 (2021).
3 Kühne et al, « Carbon Bombs - Mapping key fossil fuel projects », Energy Policy, 2022.
4 « Uganda’s pipeline plans face stiff opposition », Oxford Analytica, 2022.
5 Rapport GIEC, AR6, WG1 Box TS.5 (2021).
6 Bonneuil et al., Global Environnement Change, 2021.
7 TotalEnergies, « Plus d’énergies, moins d’émissions », mars 2023. Voir aussi son communiqué de presse