Pour alerter sur la cécité de nos sociétés, les scientifiques en rébellion bandent les yeux d'une quinzaine de statues à haute valeur symbolique
Pour la quatrième semaine consécutive, les Scientifiques en rébellion ont bandé les yeux de statues, et accroché à leurs cous des panneaux indiquant « Ne mentez plus », « Ouvrez les yeux » ou « Ceci est une urgence climatique ». Des statues à Nice, Toulouse, Paris, Montpellier, Blois, Nantes et Marseille ont été choisies pour leur côté symbolique. Il s’agit d’une action internationale, et plus d’une centaine de statues ont été affectées dans le monde, dans une quarantaine de villes réparties sur une douzaine de pays. Les scientifiques à l’origine de ces actions exigent que les personnes au pouvoir ne détournent pas le regard des résultats de la science. Le dernier rapport du GIEC montre clairement que la crise climatique et le désastre écologique menacent notre existence même, et exigent des mesures immédiates qui vont bien au-delà de ce qui est fait actuellement.
« Statue Sunday »
Scientist Rebellion a lancé l’action Statue Sunday dimanche 26 mars. L’opération a été renouvelée, essentiellement les dimanches 2, 9 et 16 avril, sur de nouvelles statues. « Les statues sont des symboles emblématiques que l’on trouve partout dans le monde. Si nos dirigeants mondiaux espèrent un jour mériter une statue, ils doivent changer radicalement leur ligne de conduite », a déclaré Spencer Heijnen, un porte-parole de l’action internationale. Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme sur la crise climatique depuis des décennies. Ils et elles ont écrit des lettres, signé des pétitions et donné des conférences. Mais les gouvernements n’ont pas tenu compte de ces avertissements et, année après année, les émissions de gaz à effet de serre ont continué à augmenter. Pour reprendre les termes du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, « nous roulons sur l’autoroute de l’enfer climatique en appuyant à fond sur l’accélérateur », tandis qu’Emmanuel Macron osait demander, encore en ce début d’année 2023, « qui aurait pu prédire la crise écologique » dont nous subissons déjà les conséquences.
Les statues françaises
A Toulouse, quatre statues ont été prises pour cible :
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Le buste de Jean Jaurès rend hommage à l’« Apôtre de la paix ». Cette référence illustre la convergence entre les luttes pour la justice sociale (particulièrement d’actualité), pour la paix et pour les enjeux climatiques : le GIEC a reçu en 2007 le Prix Nobel de la Paix.
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La sculpture de Toutain : « Mère et enfant ». Dans la mise en scène des scientifiques, l’enfant s’adresse à sa mère pour lui demander d’ouvrir les yeux et de prendre ses responsabilités, comme les jeunes s’adressent à la génération aujourd’hui au pouvoir : quelle Terre leur laisserons-nous ?
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Sur une statue représentant Antoine de Saint-Exupéry avec le Petit Prince dans un globe, les scientifiques ont accroché une citation de l’écrivain : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». Cette citation a été placée en exergue d’un Rapport Spécial du GIEC en 2019.
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La sculpture « L’Attrape Cœur » de James Colomina. Le street artist humaniste toulousain installe sans autorisation dans les grandes villes du monde ses œuvres de « poésie politique » évoquant entre autres la fragilité de la planète, la violence et l’exclusion.
A Paris, trois statues ont été prises pour cible :
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La statue de la Liberté, statue iconique, connue dans le monde entier : notre liberté de respirer de l’air pur et notre liberté de vivre sont mises à rude épreuve.
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Une statue de lion a été décorée, pour sa proximité avec le Sénat, qui doit aider à la mise en place de mesures respectueuses de l’environnement.
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La statue Ile-de-France aux Tuileries, pour son côté central, donne de la visibilité aux alarmes des scientifiques.
À Nice, c’est la statue de Jacques Chirac qui a été choisie pour cible. En 2002, il prononçait sa fameuse phrase « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Vingt ans plus tard, rien n’a changé, et le dernier rapport du GIEC sort dans l’indifférence générale.
À Montpellier, c’est la statue de Jacques Cœur qui a été choisie pour cible. Grand argentier et commerçant réputé. Jacques Cœur incarne ici notre alerte sur la nécessaire transformation de notre modèle économique dans le contexte du changement climatique. Trois statues d’intellectuels de la place de la Révolution française ont également été ciblées, évoquant l’urgence d’une vraie révolution écologique face aux périls croissants qui pèsent sur le climat et la biodiversité.
À Blois, trois statues ont été prises pour cible :
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Jeanne d’Arc, symbole de courage et de résistance, qualités nécessaires pour s’opposer aux forces du statu quo et du business-as-usual.
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Louis XII, sur la façade du château royal, un monarque considéré modéré et à l’écoute du peuple. Ceci contraste avec les dérives autoritaires de nos dirigeants actuels.
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Denis Papin, que l’on crédite pour avoir inventé la machine à vapeur ; c’est le symbole de la révolution industrielle, qui signe le début de l’augmentation considérable des émissions de CO2 dans les pays occidentaux.
À Nantes, il s'agit d'Anne de Bretagne, qui fut Reine de France, en particulier épouse de Louis XII dont les yeux ont été bandés à Blois.
À Marseille, il s'agit de l'Allégorie de la Durance au Palais Longchamp, point d'arrivée du canal de la Durance. La question de l'eau et de sa rareté concerne depuis longtemps la Provence mais a une actualité aussi très récente avec les méga-bassines de Sainte-Soline. Une conférence de presse a eu lieu devant la bannière pour apporter son soutien aux Soulèvements de la terre qui subit une répression policière violente de la part du gouvernement français : la Durance fait donc face aux conséquences du changement climatique cette fois-ci avec les yeux grands ouverts.
Qu’est-ce que Scientifiques en rébellion ?
Scientist Rebellion est un mouvement international de scientifiques alarmé.es par la crise climatique et écologique. Le groupe estime que la communauté scientifique a la responsabilité d’agir et de rejoindre l’avant-garde du mouvement climatique.
Scientifiques en rébellion est la branche française de Scientist Rebellion. Ses membres exercent une pression sur les gouvernements – par des actions pacifiques, créatives et perturbatrices – pour s’assurer qu’ils prennent des mesures contre la crise climatique et écologique.
Le dernier rapport du GIEC
Le 20 mars, un nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été publié. Ce rapport tire des conclusions extrêmement alarmantes. En suivant la voie actuelle, nous mettons en péril un avenir vivable et durable pour tous les habitants de la planète, écrit le GIEC. Le groupe d’experts montre que les mesures prises actuellement pour réduire les émissions sont largement insuffisantes pour respecter l’accord de Paris.