COP28 alternative Nantes: propositions

Le mercredi 22 novembre 2023, nous, collectif des Scientifiques en Rébellion et d'Extinction Rebellion, avons co-organisé à Nantes une COP28 alternative autour de la thématique des ressources en eau en Pays de la Loire. Trois intervenantes ainsi que divers.e.s participant·e·s du public ont partagé leurs savoirs et expertise sur le sujet. Puis, collectivement, lors d'une convention citoyenne, le groupe a été invité à réfléchir sur les différentes façons de concevoir les ressources en eau dans la région dans un contexte de dérèglement climatique. Il en a émergé ce texte, co-écrit par des membres de Scientifiques en Rébellion, d'Extinction Rebellion et un groupe de citoyen.ne.s concerné.e.s, qui mêle constats et propositions.

Convention citoyenne dépolluée - Texte aux décisionnaire

Gestion et utilisation de l'eau, un bien commun

L'eau est très présente dans la région Pays de la Loire, recouvrant 13% du territoire selon le rapport du GIEC Pays de la Loire. Cette ressource intervient dans différents aspects de nos vies (consommation, énergie, agriculture, usage quotidien). L'eau est un bien commun aux humains et aux autres êtres vivants, utile et nécéssaire dans les cycles de la vie et de l'écosystème entier. Dès lors, cette ressource ne doit pas être pensée de manière individuelle, segmentée et à petite échelle mais de manière décentralisée et solidaire, à l'échelle des différents bassins versants et de l'ensemble du cycle de l'eau. En effet, l'eau atmosphérique, plus au moins chargée en polluants, va irriguer les terres, remplir les nappes phréatiques et les points d'eau ou participer à la calotte glaciaire et former un stock d'eau douce. Toute l'eau n'est pas utilisée et immobilisée immédiatement, une partie va rejoindre, par ruissellement, les cours d'eau, ruisseaux et rivières, avant de se jeter dans la mer. En conséquence, une eau polluée, trop riche en nutriments (azotes, phosphate...), trop chaude, trop turbide, trop rare (cours d'eau à sec suites aux sécheresses à répétition des dernières années) ou encore trop canalisée, aura de nombreux effets néfastes pour nous, humains, mais aussi pour l'ensemble de l'écosystème en découlant.

Pour pallier cela, plusieurs propositions ont été évoquées comme le renforcement des mesures de renaturation des cours d'eau et des zones humides (débusage, recréation de méandres et degravières, défrichage et arrachage d'arbres, retrait de jussie et myriophylle etc.). Cela fait notamment partie des grands objectifs des documents réglementaires tels que le Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) et Schéma d'Aménagement et de Gestion desEaux (SAGE). À cela devrait venir s'ajouter une part de communication et de sensibilisation de la population à l'importance de ces zones, pour comprendre que l'eau est partout et utile à tous. Par ailleurs, la création d'un statut juridique pour les cours d'eau, tel que la Loire, indépendamment de son classement au patrimoine mondial de l'UNESCO, permettrait des recours juridiques facilités en cas de pollutions avérées, facilitant ainsi sa protection.

Concernant la gestion des ressources en eau, une des préoccupations centrales est l'utilisation de l'eau potable. Est-il pertinent de continuer à l'utiliser à d'autres fins que pour sa consommation (exemple : machine à laver, toilettes) notamment lorsque l'on sait qu'environ 20% de cette eau est perdue à cause des fuites dans le réseau d'alimentation [1]. À ce titre, la Régie de Nantes Métropole est considérée comme moins performante que des opérateurs privés [2]. Une alternative à ces pertes et à l'utilisation abusive d'eau potable serait de repenser le réseau d'alimentation en eau des foyers lors des nouvelles constructions : un réseau d'eau potable pour la consommation et un réseau alimenté par les eaux pluviales pour le reste. Dans les logements déjà construits et occupés, des aides financières de l'État ou de la Région pourraient être mises en place pour repenser ces réseaux d'eau comme pour la rénovation énergétique (MaPrimeRénov', Certificats d'Économie d'Énergie, aides des collectivités locales [3]). On peut également imaginer que les bâtiments publics et les entreprises aient des obligations à installer et/ou convertir leurs réseaux d'eau pour réutiliser les eaux pluviales et participer à une économie de l'eau potable. Par ailleurs, afin de garantir l'accès à l'eau à tou·te·s, de manière équitable il faudrait revoir la tarification de l'eau en adoptant le principe du "pollueur-payeur". Actuellement, elle est proportionnelle et une tarification sociale existe au niveau de Nantes Métropole [4]. À l'heure où la 6ème limite planétaire, celle de l'eau douce, a été dépassée [5] et que les prévisions pour la Loire indiquent une baisse substantielle des ressources en eau pour les années à venir [6], qu'adviendra-t-il du coût de l'eau ? Dans un contexte de raréfaction des ressources pour les foyers, la tendance est à la montée des tarifs (cf. prix de l'essence) et seuls les plus riches pourront se permettre d'utiliser l'eau et de la gaspiller. Nous craignons une tendance à l'accaparement au vu des épisodes de méga-bassines à Sainte-Solines ou du projet, heureusement suspendu, d'une retenue d'eau à la Clusaz [7]. Pour pallier cela, nous proposons de généraliser le système de tarification indexé sur les ressources financières : on paye en fonction de ce que l'on gagne. En outre, pour limiter le gaspillage de l'eau, un système de forfait devra être créé impliquant différents seuils au-delà desquels le tarif global de l'eau sera revu. Ainsi, à revenus identiques, un foyer ne faisant pas attention à sa consommation d'eau devra dépenser plus pour cette ressource qu'un foyer ne gaspillant pas. Cette nouvelle tarification se veut plus juste en prenant en compte les usages de l'eau en grande quantité (remplissage de piscines individuelles, arrosage de terrains de golfs, nettoyage des voitures etc.).

De plus, bien qu'il soit essentiel de repenser individuellement nos usages de l'eau, il faut surtout responsabiliser les industries très aquavores (textile, agroalimentaire, énergie). Nous voulons plus de transparence de la part des industries sur leur utilisation de l'eau. Sur la base du forfait évoqué plus haut, une taxation importante pour les entreprises très consommatrices est exigée. Nous voulons également obliger les diverses industries à ajouter la quantité d'eau utilisée pour leurs produits - notion d'eau virtuelle - en condition d'obtention des diverses aides financières publiques. Ce calcul d'eau virtuelle devra prendre en compte l'eau consommée sur le territoire et hors du territoire Français. Un institut indépendant pourra être chargé d'évaluer la justesse des quantités d'eau virtuelle évoquées. Nous estimons que cela incitera les industries à diminuer ce coût et sensibilisera les consommateurs sur leur impact sur les ressources en eau (exemple : ce jean a nécessité 7 000 à 11 000L d'eau [8]). Au niveau individuel, diverses idées ont été avancées ayant trait à la sensibilisation et à l'accessibilité des informations. L'éducation des citoyen·ne·s à l'importance du cycle de l'eau est fondamentale et se doit d'être appuyée. Cela peut passer par des campagnes d'affichage, une moindre consommation de viande dans les cantines scolaires (une alimentation plus végétale diminue de 28 à 41% notre consommation d'eau [9]), des ateliers de sensibilisation dans les maisons de quartiers, écoles primaires, collèges et lycées...

Dès lors, il est nécessaire d'avoir conscience de l'effet que peuvent avoir nos actions sur l'eau. Cela passe certes par des questions individuelles - à quelle part de confort personnel suis-je prêt à renoncer pour économiser l'eau ? - mais surtout par des décisions politiques fortes quant à l'accaparement de l'eau et au gaspillage. Il semble important de retenir que ce n'est qu'en adoptant un système tourné vers la décroissance que l'on aura un impact encore plus réel non seulement sur notre consommation en eau mais aussi en ressources en tout genre (minerai, énergie, etc.).

Qualité de l'eau et pollution

Une des grandes inquiétudes mise en lumière lors de cette conférence est la qualité de l'eau. Selon l'Agence de l'eau Loire Bretagne, seules 11,3% des masses d'eau de la région sont en bon état écologique contre 44% des masses d'eau au niveau national [10]. En cause notamment, la présence de divers micropolluants chimiques [6], conséquences des pratiques agricoles et des activités industrielles. L'impact de ces pollutions n'est plus à démontrer : extinction de la biodiversité (-40% d'espèces d'oiseaux [11]), diminution de la production agricole due à la perte de pollinisateurs [12] ou encore toxicité humaine (substances cancérigènes, perturbateurs endocriniens et neuro-toxiques [13]).

Alors que les épisodes de marées vertes ont montré un lien direct entre l'eutrophisation des milieux aquatiques et la pollution des eaux aux nitrates par les effluents d'élevage [14], le changement de paradigme agricole reste très faible. Il est urgent de revoir le modèle d'agriculture intensive pour protéger au mieux les ressources en eau mais aussi repenser nos modèles économiques de production et de consommation. L'utilisation par les cantines scolaires de : i) récoltes bio, au lieu des productions des agro-industriels, participerait à la réduction des produits phytosanitaires, limitant la présence de polluants chimiques et organiques dans les nappes superficielles et profondes ; ii) variétés locales adaptées aux contraintes environnementales de la région, participerait à diminuer l'utilisation d'intrants, le besoin de transport pour les récoltes et ne nécessiterait pas ou peu d'irrigation. Concernant la pollution aux pesticides, nous soulignons l'arrêt de leur utilisation dans l'entretien des espaces verts de la métropole depuis 1999 [15] et invitons dès lors les diverses collectivités à aller au-delà et bannir les phytosanitaires des lieux de restaurations collectives.

Quant aux industries, nombreuses sont celles qui polluent, gaspillent ou accaparent l'eau ; on pense notamment aux industries classées SEVESO présentes au niveau de l'estuaire telle que Yara, régulièrement mise en demeure pour des rejets dans la Loire et qui a préféré fermer plutôt que de se mettre aux normes [16]. Parmi les diverses revendications, la taxation plus importante des gros pollueurs a été unanime. À ce jour, plus de 70% des redevances pollution (un outil financier utilisé pour protéger la ressource eau) sont à charge des consommateurs domestiques, contre 10% pour les industriels et ce, malgré leur impact bien supérieur sur la ressource [2]. Pour aller en ce sens, un travail de cartographie recensant les industries les plus polluantes et/ou aquavores est nécessaire.

Pour pallier les effets néfastes de la pollution de l'eau, la proposition d'un aquascore, calqué sur le nutriscore alimentaire, permettrait d'informer la population sur la qualité de l'eau au robinet. Si des seuils existent (sulfates, chlorure, potassium, nitrates etc.) pour garantir la potabilité de l'eau, cela n'est pas communiqué de façon claire. À titre d'exemple, un rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a montré en 2022 que deux tiers de l'eau du robinet des français était contaminée par un dérivé de chlorothalonil, un herbicide interdit depuis 2020 et ce, au-delà du seuil autorisé dans 34% des cas [17]. Dès lors, dans des régions agricoles où le taux de nitrates peut avoisiner le seuil de potabilité, l'eau pourrait être classée B ou C en regard d'une eau peu riche en nitrates ayant un aquascore A. Le cahier des charges pour la création de cet aquascore ainsi que sa diffusion reviendrait à la Régie publique eau de Nantes Métropole et permettrait à la population de se prémunir contre les effets néfastes d'une eau polluée. Cela devrait par ailleurs se généraliser aux autres Métropoles, communauté de communes et aux gestionnaires privés. Dans le cas où l'aquascore ne serait pas disponible, la distribution de kits pour tester soi-même la qualité de l'eau semble être une bonne alternative.

Aménagement du territoire

De manière générale concernant la gestion des ressources en eaux et leurs qualités, une mesure importante des pouvoirs publics doit consister à repenser l'aménagement du territoire. La réduction drastique de l'artificialisation des sols en zones urbaine et notamment leur imperméabilisation permet de limiter le ruissellement des eaux pluviales qui se chargent en polluant lors du lessivage des surfaces et dégradent par la suite fortement les milieux aquatiques [18]. En particulier, une étude montre que la pollution est locale pour de nombreuses molécules et ne provient qu'en faibles proportions de la pollution atmosphérique, étant reliée directement au lessivages des surfaces urbaines [19]. Par ailleurs, bien que nous soulignons la mise en place du plan Pleine Terre par la Métropole, ayant pour objectif de déminéraliser les sols et les "renaturaliser" [20], nous sommes nombreux·ses à déplorer l'inertie au vu des espaces encore bitumisés inutilement ; certains et certaines se disent prêts et prêtes à utiliser des marteaux piqueurs. Il n'est pas sans rappeler que les végétaux en ville participent à de nombreux services écosystémiques favorisant la captation de l'eau ou réduisant de manière significative les îlots de chaleur [21]. Il semble également paradoxal qu'une Métropole encourage à la renaturalisation des sols pour favoriser la biodiversité et dans le même temps participe à la destruction de zones humides très riches en biodiversité dans le très controversé projet Doulon-Gohards. À ce titre, une réglementation plus dure pour protéger les zones humides et prévenir leur disparition en zone urbaine est essentielle tout comme une réévalution du PHEC (plus haute eau connue) du PPRI (plan prévention risques inondation) pour limiter les inondations. Cette dernière mesure implique également d'éviter les constructions en zones inondables (cf. le projet du nouveau CHU [22]). Parmi les diverses propositions, la création de mares parait rapide à mettre en place et permettrait par ailleurs de favoriser le développement de biocénoses aquatiques.

Le "tout-béton" prôné par une politique attractive de la métropole - objectif de 6000 logements neufs par an indiqué dans le plan de relance du programme local de l'habitat publié en octobre 2023 sur le site de Nantes métropole [23] - a un impact négatif plus vaste sur le territoire ligérien de par la destruction de nombreux paysages et écosystèmes pour l'extraction du sable. Divers collectifs de riverains et riveraines s'opposent notamment aux extensions de carrières (Tahuns, Saint-Colomban etc.) pour protéger des espaces naturels et lutter contre le monde du béton. Comme évoqué plus haut, l'incitation au changement de paradigme agricole par les pouvoirs publics particperait à une refonte des paysages du territoire (haies, bocages...). Enfin nous souhaiterions que plus de moyens financiers et humains soient accordés à la "police de l'eau", aux protecteurs.ice.s de l'environnement (ONF, OFB) afin de préserver au mieux le vivant.

En conclusion, si les diverses oeuvres dystopiques nous appellent à repenser nos imaginaires, rouages indispensables des politiques de transitions, nous ne sommes pas prêts à vivre avec des distiles - appareil de recyclage de l'eau corporelle présent dans l'univers fictionnel "Dune" de Frank Herbert - ou être dépendants des caravanes de l'eau (convoi d'approvisionnement d'eau potable dans le livre "Les derniers hommes" de Pierre Bordage). Les problématiques de l'eau sont centrales pour les humains et non humains afin d'assurer la subsistance du vivant. Les diverses décisions la concernant se doivent d'être prises collectivement et rapidement.

📣 C'est pourquoi nous appelons à l'organisation d'une convention citoyenne de l'eau au niveau de la Métropole Nantaise, du département et de la Région, et insistons sur le besoin de souverainetés locales. 📣

Un collectif de citoyen.ne.s, Scientifiques en Rébellion et Extinction Rébellion.

Références

  1. www.services.eaufrance.fr/rapport-national
  2. Pedehours, P., 2022. Outils d’aide à la décision pour la répartition de la ressource en eau en région Pays de la Loire. Thèse de Doctorat. Nantes Université.
  3. www.economie.gouv.fr/particuliers/prime-renovation-energetique
  4. metropole.nantes.fr/tarification-eau
  5. www.nationalgeographic.fr/environnement/eau-douce-danger-ressource-naturelle-la-sixieme-limite-planetaire-a-ete-franchie-et-maintenant
  6. Rapport GIEC Pays de la Loire, version 1 (29-09-2022)
  7. https://reporterre.net/Victoire-La-Clusaz-un-moratoire-construction-retenue-eau
  8. librairie.ademe.fr/cadic/1529/le-revers-de-mon-look.pdf
  9. www.l214.com/communications/20230329-plan-eau-gouvernement-elevage-alimentation
  10. agence.eau-loire-bretagne.fr/home/bassin-loire-bretagne/zoom-sur-la-qualite-des-eaux-en-loire-bretagne-2020.html
  11. Rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, IPBES 2019.
  12. Rapport d'évaluation sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire, IPBES 2016.
  13. Rapport sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques, ESCo INRAE et Ifremer, Mai 2022.
  14. De l'élevage industriel aux algues vertes en Bretagne, les errements de la politique agricole ? Rapport Greenpeace Juillet 2019.
  15. Communication personnelle de la CGT Mairie de Nantes.
  16. www.francebleu.fr/infos/economie-social/montoir-yara-licencie-et-ferme-son-usine-de-fabrication-d-engrais-plutot-que-de-se-mettre-aux-normes
  17. www.anses.fr/fr/system/files/LABORATOIRE2022AST0255Ra.pdf
  18. Béatrice Béchet, Yves Le Bissonnais, Anne Ruas, Anne Aguilera, M. André, et al.. Sols artificialisés et processus d'artificialisation des sols : déterminants, impacts et leviers d'action. Rapport. [0] INRA. 2017, 609 p. hal-01687919.
  19. Chérin, N., 2017. Modélisation des flux de dépôts atmosphériques du plomb et du cadmium à l’échelle urbaine. Thèse de doctorat. Ecole Nationale des Pont et Chaussées, Paris.
  20. metropole.nantes.fr/actualites/2022/environnement-nature/un-plan-pour-reduire-le-bitume
  21. aquagir.fr/gestion-eaux-pluviales/connaissances/la-vegetalisation-urbaine-et-rurale-pour-reguler-localement-la-temperature-et-le-cycle-de-leau
  22. www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/futur-chu-a-nantes-un-collectif-exige-la-revision-du-plan-de-prevention-des-risques-d-inondation
  23. metropole.nantes.fr/actualites/2023/logement-urbanisme/congres-hlm-2023/plan-relance-dans-le-concret