Verdict attendu le 17 novembre pour les scientifiques en procès pour activisme climatique en Allemagne
La quatrième et probablement dernière audience du procès de 6 Français·es membres de Scientifiques en rébellion se déroulera le 17 novembre au tribunal de district de Munich. Les scientifiques dénoncent le fait que, tout au long d’une procédure-bâillon de 3 ans, la justice allemande a refusé de discuter de la légitimité de la désobéissance civile contre l’inaction climatique. Un verdict devrait être rendu, avec des amendes et des dommages et intérêts de plusieurs milliers d’euros par personne. Malgré une nette réduction vis-à-vis des réquisitions initiales du procureur et des multinationales BMW et BlackRock, ces réponses judiciaires disproportionnées (notamment une semaine de détention préventive) n’en participent pas moins à la criminalisation des mobilisations écologistes, alors que l’échec de l’Accord de Paris sur le climat est patent dix ans après sa signature. Un autre procès se tiendra d’ailleurs à Paris le 17 novembre suite à une action de Youth for Climate et Extinction Rebellion contre BlackRock en 2020.
Les scientifiques poursuivi·es doivent répondre de plusieurs chefs d’accusation, notamment de dégradation, d’intrusion et de coercition, à la suite d’actions non-violentes dans les bureaux du fonds d’investissement BlackRock, dans un salon d’exposition BMW et à une intersection bloquée au centre de Munich. Ces actions ont été menées à l’occasion d’une campagne de désobéissance civile non-violente du collectif Scientist Rebellion, en octobre 2022, à Berlin et Munich, pour dénoncer le manque de mesures de lutte contre le changement climatique. Leurs arrestations à ce moment-là, impliquant 20 personnes au total, avaient déjà été suivies de détentions préventives durant jusqu’à 6 jours. Cette audience arrive après des ordonnances pénales d’amendes individuelles exorbitantes (excédant largement le seuil conférant un casier judiciaire) immédiatement contestées, puis trois années de procédure impliquant trois déplacements en personne en Allemagne.
La persévérance des scientifiques poursuivi·es et de leurs avocat·es a cependant permis de faire très nettement diminuer le montant initial des amendes (environ 50 000 € pour 6 personnes) et des dommages et intérêts à verser aux multinationales BMW et BlackRock (40 000 €). L’exagération des dommages a d’abord été clairement démontrée par une contre-expertise des frais de nettoyage des bureaux de BlackRock, divisant par quatre l’estimation initiale. Les avocat·es de la défense ont ensuite montré le peu de sérieux des estimations des dommages causés aux voitures exposées dans le showroom BMW, qui s’élevaient à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ils et elles ont montré que l’expert mandaté par le tribunal n’avait pu physiquement accéder aux voitures concernées et encore moins aux pièces remplacées. Ils et elles ont contesté la méthode d’expertise et ont fait apparaître sa situation de conflit d’intérêts : vendeur de voitures, il promeut la voiture thermique individuelle et a reconnu lors de l’audience croire les déclarations de BMW sans les vérifier.
On ne peut que regretter que le tribunal ait refusé de débattre de la seule question qui compte vraiment : les actions de désobéissance civile menées par ces scientifiques étaient-elles légitimes et proportionnées face à l’urgence climatique, au manque d’actions du gouvernement allemand, et à la responsabilité de BMW et de BlackRock dans l’obstruction aux politiques écologiques ? Alors que de nombreuses juridictions à travers le monde ont reconnu la légitimité de ce type de mobilisation (allant jusqu’à admettre dès la première instance l’état de nécessité pour des actions impliquant Scientifiques en rébellion au Havre ou à Paris) ou condamné des États pour inaction climatique, le tribunal de district de Munich s’est contenté de débattre des détails des actions menées. Trois ans après les actions poursuivies, ses motivations sont plus que jamais d’actualité puisque le gouvernement de Friedrich Merz et BMW continuent d’entraver la lutte contre le changement climatique en défendant la production de SUV (qui, même hybrides ou électriques, restent une aberration écologique et de santé publique) et en contestant l’interdiction de la vente de voitures thermiques en 2035 dans l’Union européenne. Quant à BlackRock, il a officialisé son absence d’engagement pour le climat en se retirant en 2025 de l’initiative Net Zero Asset Managers, qui consistait pourtant surtout à du greenwashing.
Les activistes et Scientifiques en rébellion dénoncent une disproportion dans la réponse judiciaire faisant une large place à des demandes financières de criminels climatiques à l’abri du besoin (p. ex. 5 milliards de dollars de bénéfices pour BlackRock en 2023). Cette procédure-bâillon fait écho à un climat d’étouffement répressif des mobilisations écologistes en Allemagne comme ailleurs. Cet acharnement judiciaire contre des scientifiques ayant mené des actions essentiellement symboliques illustre une dynamique dangereuse plus large dénoncée par Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseurs et défenseuses de l’environnement. Dans son rapport publié le 28 février 2024 intitulé « Répression par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementales : une menace majeure pour les droits humains et la démocratie », il préconise aux États de veiller à ce que les décisions de justice ne contribuent pas à restreindre la liberté d’expression. Ce 3 juillet dernier, dans son rapport « Attaqué·es pour avoir défendu la planète », Amnesty International dénonçait la montée des pratiques autoritaires envers les défenseuses et défenseurs de l’environnement partout dans le monde, à rebours de l’urgence, des attentes de la population et des libertés individuelles nécessaires à l’État de droit.
Hasard du calendrier, le 17 novembre se tiendra aussi à la Cour d’appel de Paris le procès de deux activistes écologistes pour une action non violente menée en février 2020 par Youth for Climate et Extinction Rebellion contre le siège de BlackRock France. En disproportion totale avec les faits reprochés, deux militants non violents avaient été condamnés à de la prison avec sursis en première instance, assortis d’une amende et d’une interdiction de paraître à Paris.