Procès contre des scientifiques pour des actions alertant sur l’urgence climatique : condamnations en Allemagne, relaxe en France
Le lundi 15 janvier, deux tribunaux allemands ont condamné trois scientifiques, dont un Français, pour avoir participé à des actions de désobéissance civile contre l’inaction climatique à l’automne 2022. Le même jour, au Tribunal de Paris, des scientifiques étaient relaxés dans le cadre d’un procès faisant suite à une conférence-occupation au sein du Muséum national d’histoire naturelle au printemps 2022.
Le lundi 15 janvier 2024 ont eu lieu deux procès en Allemagne au cours desquels quatre scientifiques et activistes du groupe Scientist Rebellion, de nationalité grecque, française et allemande, ont été jugés pour leur action pacifique visant à souligner l’échec de la politique allemande face à la crise climatique. Une fois de plus, des membres de Scientist Rebellion ont été condamnés sans que les tribunaux ne prennent réellement en compte la gravité de la crise climatique.
Le tribunal régional de Berlin a tout d’abord confirmé l’amende infligée en première instance à Niko Froitzheim, professeur en géologie à l’université de Bonn, qui avait bloqué un pont dans le quartier gouvernemental de Berlin avec 15 membres de Scientist Rebellion en avril 2022. Le juge a rejeté l’appel, en dépit du plaidoyer fait en faveur d’un état d’urgence climatique. Le scientifique a commenté : « Lors de ce procès, plus que lors des précédents, j’ai eu l’impression de parler à un mur. Le tribunal n’était pas prêt à faire face à mes motivations et à mon désespoir, comme si la crise climatique allait se résoudre d’elle-même si ceux qui attirent l’attention sur elle sont réduits au silence ».
Au tribunal régional de Munich, s’est déroulé le deuxième procès parmi ceux intentés contre 20 membres de Scientist Rebellion suite à des actions de désobéissance civile non violente en octobre 2022 dans la même ville, ayant déjà conduit certains de ces scientifiques à passer jusqu’à une semaine en détention préventive. Ces actions visaient le fond d’investissement BlackRock, où les activistes avaient réalisé une mise en scène en versant de la mélasse (symbolisant le pétrole) puis s’étaient collé les mains au sol en signe d’occupation, pour fustiger l’implication de cette société dans le financement de l’exploitation des énergies fossiles et dans l’endettement des pays du Sud. Le groupe avait ensuite bloqué une route dans le centre de Munich pour attirer l’attention sur le manque d’engagement du gouvernement allemand dans la décarbonation des transports. Trois jours plus tard, le groupe avait investi le hall d’exposition BMW Welt pour attirer l’attention sur le rôle de l’entreprise dans le retard de mise en œuvre des politiques de décarbonation des transports et le greenwhashing utilisé dans la publicité pour ses voitures (thermiques et électriques), en projetant de la mélasse sur plusieurs voitures exposées, en collant des articles scientifiques documentant la crise climatique, puis en se collant les mains sur l’un des modèles les plus luxueux et polluants de l’exposition.
Parmi les trois prévenus, deux ont été condamnés à des amendes entre 900 et 2700 € pour dégradation de biens et violation de propriété, une somme fortement réduite comparée aux amendes initiales (dont la contestation a conduit au procès) et évitant une inscription au casier judiciaire allemand. Ils envisagent néanmoins de faire appel. Les charges requises contre le troisième scientifique ont été abandonnées en échange d’un don de 1000 € à l’ONG environnementale Deutsche Umwelthilfe e.V. L’adéquation des montants de dommages et intérêts demandés par BlackRock (12 000 €) et BMW (27 000 €) n’a pu être prouvée. Les accusés ont par ailleurs fait valoir que leurs actions étaient nécessaires pour atténuer la catastrophe climatique imminente en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il agisse conformément aux accords internationaux et aux données alarmantes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Leurs actions ont mis en avant la nécessité urgente de décarboner rapidement la société, pour laquelle la fenêtre d’opportunité existante se referme rapidement.
« Je suis soulagé que le procès soit passé, celui-ci amenant beaucoup d’anxiété du fait de notre système judiciaire répressif injuste et bancal. Je tiens à souligner la solidarité incroyable dont j’ai fait l’expérience ces derniers jours, et suis également très en colère contre ce système qui réprime et menace, considérant des activistes tirant la sonnette d’alarme sur la réalité de la crise climatique comme des criminels. Nous devons continuer à nous battre », déclare Nicolas, ingénieur français en environnement et également membre du collectif Scientifiques en rébellion (branche française de Scientist Rebellion).
Après le procès, Agisilaos Koulouris, de Grèce, a déclaré en réponse au verdict : « Au milieu de l’effondrement du climat, les actions perturbatrices sont justifiées, proportionnelles et nécessaires. Si les défenseurs du climat sont condamnés, alors la justice est vraiment aveugle ».
Le troisième procès de cette série d’actions, qui jugera 6 Français, aura lieu le 5 mars 2024 à Munich.
Par ailleurs, le lundi 15 janvier, le Tribunal de police de Paris a relaxé 8 scientifiques et activistes de Scientifiques en rébellion et Extinction Rebellion qui étaient poursuivi·es suite à une conférence-occupation tenue au Muséum national d’histoire naturelle le 9 avril 2022 pour alerter sur les conséquences de l’inaction climatique du gouvernement et l’extinction des espèces.
L’audience s’était tenue le 30 novembre, jour d’ouverture de la COP 28 à Dubaï, et le jugement avait été mis en délibéré. Trois personnalités scientifiques étaient alors venues témoigner de la légitimité de cette action : Pierre-Henri Gouyon (biologiste, Muséum national d’histoire naturelle), Christophe Bonneuil (historien des sciences, CNRS) et Fabrice Flipo (philosophe des sciences, Institut Mines Telecom). Une lettre de la climatologue et ancienne co-présidente du groupe 1 du Giec Valérie Masson-Delmotte avait été préalablement jointe au dossier.
Conformément aux réquisitions du parquet, le tribunal a annulé les amendes de 5e classe qui avaient été infligées aux participantes à l’action car l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée. En revanche, ni l’état de nécessité, ni la liberté d’expression, qui avaient été invoqués par la défense, n’ont été retenus. Il s’agit néanmoins d’une victoire judiciaire pour le collectif Scientifiques en rébellion, issu de l’appel de 1000 scientifiques à la désobéissance civile publié dans le journal Le Monde en février 2020, et dont c’était le premier procès. Comme le clamait une banderole lors de la conférence-occupation, « Dire la vérité n’est pas un crime » !
D’autres participant·es à cette action passeront en jugement ultérieurement.