procès 2025-11-17

Pour la première fois, cinq scientifiques français condamnés pour activisme climatique

Cinq Français membres de Scientifiques en rébellion ont été condamnés à des amendes de 11 000 € au total le 17 novembre par le tribunal de district de Munich pour avoir mené des actions de désobéissance civile non-violente. Cette décision marque un tournant dans la répression des mouvements écologistes : en dépit de l’augmentation inquiétante du nombre de condamnations, les autres procès impliquant plusieurs scientifiques français·es s’étaient jusqu’ici toujours conclus par des relaxes. Les scientifiques dénoncent le fait que, tout au long d’une procédure-bâillon de 3 ans, la justice bavaroise a refusé de discuter de la légitimité de la désobéissance civile contre l’inaction climatique, et n’a pas hésité à leur faire subir une semaine de détention préventive. La procédure a néanmoins permis de réduire nettement les amendes par rapport aux réquisitions initiales exorbitantes du procureur et des multinationales BMW et BlackRock.

Alors que l’échec de l’Accord de Paris sur le climat est patent dix ans après sa signature, Scientifiques en rébellion poursuit la mobilisation, avec une série de conférences à Paris dans le cadre de l’AlterCOP30 et une performance artistique et scientifique de 10h lectures et de musique le samedi 22 novembre au Trocadéro.

Arrestation d'un membre de Scientist Rebellion lors d'une action contre BlackRock à Munich en octobre 2022.

Cinq scientifiques ont été condamnés à des peines de 1350 € à 2700 €, pour un total de 11 250 €. Une sixième scientifique qui n’avait participé qu’à une partie des actions a été relaxée, mais le parquet peut encore faire appel. C’est la première fois que plusieurs scientifiques français sont condamnés suite à un procès pour une action de désobéissance civile en faveur du climat. Les procès précédents se sont jusqu’ici soldés par des relaxes (notamment pour état de nécessité) : à Paris suite à une conférence-occupation au Muséum national d’histoire naturelle en 2022 ; au Havre suite au blocage d’un pont contre la construction d’un terminal méthanier en 2024 ; à Bobigny, suite à une occupation du tarmac de l’aéroport de Roissy.

Hugo Raguet, scientifique poursuivi en Allemagne, a déclaré à la sortie de l’audience : « La peine disproportionnée infligée par le tribunal de Munich illustre l’acharnement des entreprises climaticides contre les mobilisations écologistes, avec la complicité des États. Les lanceurs et lanceuses d’alerte comme nous sont emprisonnés et poursuivis pour des actions non-violentes, alors que les véritables criminels climatiques continuent à causer des souffrances à des millions de personnes pour préserver leurs profits. »

Les scientifiques poursuivi·es devant le tribunal de district de Munich devaient répondre de plusieurs chefs d’accusation, notamment de dégradation, d’intrusion et de coercition, à la suite d’actions non-violentes au cours desquelles ils et elles s’étaient introduit·es dans les bureaux du fonds d’investissement BlackRock, s’étaient collé les mains à une voiture de luxe dans un salon d’exposition BMW, et avaient bloqué une intersection au centre de Munich. Ces actions ont été menées à l’occasion d’une campagne de désobéissance civile non-violente du collectif Scientist Rebellion, en octobre 2022, à Berlin et Munich, pour dénoncer le manque de mesures de lutte contre le changement climatique. Leurs arrestations à ce moment-là, impliquant 20 personnes au total, avaient déjà été suivies de détentions préventives durant jusqu’à 6 jours, ce qui avait suscité une tribune de soutien de 1200 scientifiques. Cette audience arrive après des ordonnances pénales d’amendes individuelles exorbitantes (excédant largement le seuil conférant un casier judiciaire) immédiatement contestées, puis trois années de procédure impliquant trois déplacements en personne en Allemagne.

La persévérance des scientifiques poursuivi·es et de leurs avocat·es a cependant permis de faire très nettement diminuer le montant initial des amendes (environ 50 000 € pour 6 personnes) et l’estimation des dommages matériels causés aux multinationales BMW et BlackRock (40 000 €). L’exagération des dommages a d’abord été clairement démontrée par une contre-expertise des frais de nettoyage des bureaux de BlackRock, divisant par quatre l’estimation initiale. Les avocat·es de la défense ont ensuite montré le peu de sérieux des estimations des dommages causés aux voitures exposées dans le showroom BMW, qui s’élevaient à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ils et elles ont montré que l’expert mandaté par le tribunal n’avait pu physiquement accéder aux voitures concernées et encore moins aux pièces remplacées. Ils et elles ont contesté la méthode d’expertise et ont fait apparaître sa situation de conflit d’intérêts : vendeur de voitures, il promeut la voiture thermique individuelle et a reconnu lors de l’audience croire les déclarations de BMW sans les vérifier.

On ne peut que regretter que le tribunal ait refusé de débattre de la seule question qui compte vraiment : les actions de désobéissance civile menées par ces scientifiques étaient-elles légitimes et proportionnées face à l’urgence climatique, au manque d’actions du gouvernement allemand, et à la responsabilité de BMW et de BlackRock dans l’obstruction aux politiques écologiques ? Alors que de nombreuses juridictions à travers le monde ont reconnu la légitimité de ce type de mobilisation ou condamné des États pour inaction climatique, le tribunal de district de Munich s’est contenté de débattre des détails des actions menées. Dans leur déclaration commune lors de l’audience du 17 novembre, les scientifiques poursuivi·es ont dénoncé : « S’il y a des criminels dans cette affaire, ce sont BMW, BlackRock, et les gouvernements qui les soutiennent aveuglément contre l’intérêt commun. », regrettant que « les lois accordent encore une place prépondérante à la propriété privée et aux intérêts à court terme, escamotant l’importance de la crise écologique et ne permettant pas de protéger la population ».

Trois ans après les actions poursuivies, leurs motivations sont plus que jamais d’actualité puisque le gouvernement de Friedrich Merz et BMW continuent d’entraver la lutte contre le changement climatique en défendant la production de SUV (qui, même hybrides ou électriques, restent une aberration écologique et de santé publique) et en contestant l’interdiction de la vente de voitures thermiques en 2035 dans l’Union européenne. Quant à BlackRock, il a officialisé son absence d’engagement pour le climat en se retirant en 2025 de l’initiative Net Zero Asset Managers, qui consistait pourtant surtout à du greenwashing.

Les activistes et Scientifiques en rébellion dénoncent une disproportion dans la réponse judiciaire faisant une large place à des demandes financières de criminels climatiques à l’abri du besoin (p. ex. 5 milliards de dollars de bénéfices pour BlackRock en 2023). Cette procédure-bâillon fait écho à un climat d’étouffement répressif des mobilisations écologistes en Allemagne comme ailleurs. Cet acharnement judiciaire contre des scientifiques ayant mené des actions essentiellement symboliques illustre une dynamique dangereuse plus large dénoncée par Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseurs et défenseuses de l’environnement. Dans son rapport publié le 28 février 2024 intitulé « Répression par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementales : une menace majeure pour les droits humains et la démocratie », il préconise aux États de veiller à ce que les décisions de justice ne contribuent pas à restreindre la liberté d’expression. Ce 3 juillet dernier, dans son rapport « Attaqué·es pour avoir défendu la planète », Amnesty International dénonçait la montée des pratiques autoritaires envers les défenseuses et défenseurs de l’environnement partout dans le monde, à rebours de l’urgence, des attentes de la population et des libertés individuelles nécessaires à l’État de droit.

Hasard du calendrier, le 17 novembre se tient aussi à la Cour d’appel de Paris le procès de deux activistes écologistes pour une action non violente menée en février 2020 par Youth for Climate et Extinction Rebellion contre le siège de BlackRock France. En disproportion totale avec les faits reprochés, deux militants non violents avaient été condamnés à de la prison avec sursis en première instance, assortis d’une amende et d’une interdiction de paraître à Paris.

Scientist Rebellion est un mouvement international de scientifiques et d’universitaires de plus de 32 pays qui appellent à la désobéissance civile pacifique face à l’échec politique de la crise climatique. Sa branche française Scientifiques en rébellion comprend 500 membres et 3500 sympathisant·es.