2023-05-12

Les Scientifiques en rébellion investissent Le Havre et le projet de terminal méthanier de TotalEnergies pour dénoncer le développement de nouvelles infrastructures fossiles

Le 12 mai, les Scientifiques en rébellion, en coalition avec d’autres mouvements (ANV-COP21, Extinction Rebellion, Stop Eacop et Dernière Rénovation) ont ciblé TotalEnergies et son projet d’installation d’un terminal méthanier flottant au Havre. Ce projet, qui doit permettre d’importer du gaz naturel liquéfié (GNL) par bateau dès septembre 2023, va à l’encontre des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris par la France. Le consensus scientifique montre en effet la nécessité de stopper immédiatement le développement de toute nouvelle infrastructure fossile.

Cette action s’est concentrée sur trois zones distinctes : le pont mobile du Havre, les locaux de l’entreprise Haropa Port, et une bombonne de GNL dans une station service. Elle avait pour objectif de rappeler que le gaz – et en particulier le GNL – n’est en aucun cas une énergie propre ou « de transition », mais bel et bien une énergie fossile qui contribue fortement au réchauffement climatique. Elle survient deux jours après une journée d’action des mêmes collectifs dans plus de 20 villes de France ciblant la banque BNP Paribas, un des principaux financeurs de TotalEnergies et premier financeur d’énergies fossiles en Europe (précédent communiqué de presse ici).

Douze scientifiques et une vingtaine d’activistes ont tout d’abord déployé des banderoles et pris la parole devant les locaux de Haropa Port, grand port fluvio-maritime de l’axe Seine, pour condamner le soutien du port au projet de terminal méthanier flottant. Des scientifiques ont pris la parole, une scénographie artistique sur le projet d’oléoduc EACOP de TotalEnergies a eu lieu, des banderoles et des posters ont été déployés et des articles scientifiques collés sur les vitrines.

Une dizaine de scientifiques en blouses blanches et plusieurs membres des autres collectifs ont ensuite bloqué le pont mobile situé sur l’écluse François Ier qui assure le passage du fret maritime, constitué en grande partie de carburant fossile. Certain.es d’entre elles et eux se sont pour cela enchaîné.es au pont. Ce pont est symbolique car il est situé à côté du chantier de construction du projet FSRU (Floating Storage and Regasification Unit) visé. Ce navire, amarré en permanence, a pour fonction de recevoir du GNL transbordé depuis des bateaux méthaniers, de le stocker, de le ramener à l’état gazeux et de l’injecter dans le réseau de transport de gaz naturel.

Enfin, cinq scientifiques et autant de militant.es ont visé un réservoir de GNL implanté dans une station essence TotalEnergies située près du port du Havre. Ils et elles ont projeté de la peinture sur le réservoir, et y ont collé des messages de la campagne internationale de Scientist Rebellion.

Le but de ces actions était de souligner l’incompatibilité de tout nouveau projet d’extraction fossile avec l’accord de Paris sur le climat, ainsi que les impacts environnementaux et humains considérables de ces infrastructures. Ainsi, 188 scientifiques, dont des co-auteur.es du GIEC, ont récemment demandé dans Le Monde que TotalEnergies abandonne l’ensemble de ses projets fossiles. Comme l’ont affirmé 1100 scientifiques, il nous faut faire le choix maintenant d’une décroissance planifiée, adaptée, durable et équitable, et non pas attendre qu’elle nous soit imposée de manière brutale par le dérèglement du climat.

Les études scientifiques ont montré qu’en l’état actuel des technologies et réseaux, le gaz, et en particulier le GNL, contribue presque aussi fortement au changement climatique que le charbon (voir détails ci-dessous). Les scientifiques perçoivent sa croissance avec une grande inquiétude en constatant que les décisions prises par les entreprises et les États vont à l’encontre de ce qui serait nécessaire pour limiter le réchauffement climatique en-dessous de +2 °C comme le prévoit l’accord de Paris de 2015. Ces investissements dont la durée de vie se compte en décennies vont au détriment d’une véritable transition énergétique. Ce constat est partagé par le GIEC, les Nations unies ou encore l’Agence internationale de l’énergie. En développant massivement l’utilisation du gaz au prétexte de la crise énergétique actuelle, les États et l’Union européenne réfléchissent uniquement à court terme et engagent sciemment nos sociétés vers un réchauffement de plus de 2 °C. Pourtant, sécheresses, famines, feux de forêt et inondations nous donnent actuellement un aperçu des conséquences catastrophiques qu’aurait un tel réchauffement incontrôlé : déplacements de populations, conflits pour l’accès aux ressources, guerres…

Cette seconde journée d’action s’est inscrit dans le cadre d’une campagne internationale menée par le collectif Scientist Rebellion, dont le slogan est « The science is clear – but the world is still ignoring it ». Dans tous les pays du monde, les scientifiques ont porté le même message : il nous faut arrêter les nouveaux projets liés aux énergies fossiles et entamer une politique de décroissance, la seule compatible avec le respect de l’accord de Paris sur le climat. La mobilisation des scientifiques continue : en France, lors de l’Assemblée générale de BNP Paribas qui aura lieu le 16 mai, les scientifiques poseront des questions sur le financement des énergies fossiles par la banque.

Informations complémentaires

Les émissions du gaz : bien plus élevées qu’on ne le prétend

Le méthane est une énergie fossile qui est souvent présentée par ses promoteurs comme « une énergie de transition », voire peu polluante (jouant parfois pour cela de son appellation de « gaz naturel »). En effet, l’utilisation de méthane dans une centrale électrique émet lors de la combustion environ deux fois moins de CO2 que le charbon pour une énergie équivalente. Dans le monde, la principale source d’énergie pour les centrales électriques reste le charbon1 (37 % de la production) : le remplacer par du gaz pourrait paraître vertueux pour diminuer les émissions. La réalité est plus complexe.

Tout d’abord, le méthane est lui-même un gaz à effet de serre extrêmement puissant : son pouvoir réchauffant est entre 30 et 80 fois plus élevé que celui du CO2, la valeur exacte dépendant de la fenêtre temporelle sur laquelle on considère le réchauffement (à 20 ans ou 100 ans). En conséquence, si tout au long du cycle de vie du méthane (extraction, éventuelle liquéfaction ou compression, transport, pipeline, etc.), il y a des fuites de méthane de l’ordre de 2,7 %, le pouvoir réchauffant du méthane peut devenir similaire à celui du charbon (!) si on prend tout son cycle de vie en compte et pas sa seule combustion2.

Le premier problème est que de telles fuites existent, et qu’elles ont été jusqu’à présent sous-estimées. Ainsi, dans un récent article paru dans la revue scientifique Science, Alverez et al. montrent que les fuites dans les exploitations aux États-Unis représente 2,3 % de la production, une valeur qui est 60 % plus élevée que ce qui était auparavant rapporté dans les inventaires officiels3. Avec ces valeurs, le bénéfice du changement de combustible (charbon vers gaz) est quasi-nul. Certaines zones ont même montré des fuites de 3,7 % au Texas et Nouveau Mexique4.

Le rapport du GIEC le dit clairement : « Compte tenu des effets potentiels de verrouillage (lock-in) des infrastructures d’approvisionnement en énergie, le passage d’un combustible fossile à un autre est une stratégie limitée et potentiellement dangereuse, à moins qu’elle ne soit utilisée avec beaucoup de précautions et de manière limitée »5.

Le boom du GNL : une bombe climatique

La situation est pire dans le cas du gaz naturel liquéfié (GNL, ou LNG en anglais pour liquified natural gas). Le GNL est du méthane qu’on liquéfie pour pouvoir le transporter sur d’énormes bateaux. Tout d’abord, la liquéfaction et le transport du GNL est extrêmement énergivore. Dans un terminal d’export, entre 10 et 20 % du gaz est utilisé pour fournir l’énergie nécessaire à la liquéfaction6. Mais surtout, en raison des étapes supplémentaires nécessaires à sa fabrication et son transport, les taux de fuite observés sont plus élevés dans le cas du gaz naturel liquéfié que dans du transport classique de gaz par pipeline. Les études montrent des émissions de CO2 environ 25 % plus élevées lorsqu’on utilise du GNL que lorsqu’on utilise du gaz non liquéfié. Pour une application en tant que combustible dans les transports maritimes, une étude récente montre que, dans l’immense majorité des cas, le GNL conduirait à davantages d’émissions que si l’on utilisait le classique diesel marine7. Une autre étude récente trouve qu’entre le charbon et le GNL, la différence d’émission se situe entre 29 % plus faible et 16 % plus fort, pour une application en production d’énergie8. Bien loin donc de « l’énergie de transition » vantée !

Dans les dernières années, le GNL a suivi un développement sans précédent, poussé notamment par une politique américaine d’exportation de son gaz dans de nombreuses régions du monde, y compris l’Europe. Il y a actuellement en Europe 8 terminaux de GNL en construction et 38 autres proposés ; ces terminaux, s’ils sont construits, émettront plus de 950 Mt CO2eq chaque année9. La France a été, en 2022, le principal importateur de GNL américain en Europe (y compris le Royaume-Uni) avec 24 % des importations totales10.

En conclusion le GNL, en l’état actuel des technologies et réseaux, ne présente pas d’avantage significatif par rapport au charbon. Investir dans cette énergie aujourd’hui revient donc à détourner les financements et l’attention des véritables priorités que sont la décroissance de la consommation énergétique et le développement des énergies renouvelables, pour un progrès quasi nul.

Financements

Ces actions ont été réalisées dans le cadre d’une campagne internationale organisée par Scientist Rebellion, un collectif international regroupant plus d’un millier de scientifiques mobilisés dans une trentaine de pays. Scientifiques en rébellion étant désormais la branche française de Scientist Rebellion, les campagnes internationales bénéficient de financements de la part du Climate Emergency Fund. Scientifiques en rébellion dispose également de financements provenant de dons de citoyen·nes soutenant sa démarche et qui sont utilisés pour des actions indépendantes des campagnes internationales de Scientist Rebellion.

Notes

1 https://www.iea.org/reports/world-energy-balances-overview/world

2 IPCC, AR6 WGIII, section 6.4.2.7 (2022)

3 « Assessment of Methane Emissions from the U.S. Oil and Gas », Alverez et al., Science 2018. Supply Chain

4 « Gaz bubble-tracking global LNG infrastructure », (2020)

5 IPCC, AR6 WG3, section 11.3.5 (2022)

6 « Assessment of the fuel cycle impact of liquefied natural gas – as used in international shipping », ICCT (2013)

7 « The climate implications of using LNG as a marine fuel », N. Pavlenko et al., ICCT (2020)

8 « Gaz bubble-tracking global LNG infrastructure », (2020)

9 Global Energy Monitor, Europe gas Tracker Report (2023) et Rapport Greenpeace « A qui profite la guerre ? » (2023)

10 https://www.eia.gov/dnav/ng/NG_MOVE_EXPC_S1_M.htm