Des scientifiques demandent l’arrêt de toute nouvelle exploration pétrolière en Norvège : deux d’entre eux ont été arrêtés lors d’une action de désobéissance civile à Trondheim
En soutien à la campagne « Stopp oljeletinga! » (« Stop aux prospections pétrolières »), deux scientifiques, dont une française, Emilie Gios, ont été arrêté.es ce matin à Trondheim pour avoir mené une action de désobéissance civile et demandé la fin de toute nouvelle prospection pétrolière dans les eaux territoriales norvégiennes.
Les scientifiques dénoncent l’absence de prise en compte sérieuse de l’urgence de la situation climatique. La science est formelle depuis des décennies : nous devons choisir entre une planète vivable ou la poursuite de l’extraction de combustibles fossiles. Si le monde veut rester en dessous de la limite de +1.5°C fixée par l’accord de Paris en 2015, il ne peut y avoir de nouveaux investissements dans les énergies fossiles.
La Norvège est le plus gros producteur de pétrole en Europe de l’Ouest. A l’occasion des accords de Paris, elle s’engageait à réduire ses émissions de CO2 d’au moins 40% d’ici 2030, position renforcée en 2021 par le 1er ministre Norvégien, Jonas Gahr Stoere, qui disait vouloir mettre fin à toute exploration pétrolière et soutenue ce mois-ci par le Parlement Norvégien qui a décidé de ne plus accorder de nouvelles licences de prospection pétrolière pour les zones vierges jusqu’en 2025. Arrêter de rechercher de nouveaux gisements pétrolifères est une décision évidente que le gouvernement norvégien doit prendre pour garantir que notre planète reste véritablement habitable. Or l’économie du pays dépend de l’industrie pétrolière (14% du PIB, 7% des emplois). Il est urgent que le gouvernement Norvégien trouve des solutions fiables à la sortie du pays des énergies fossiles, pour sa survie et la nôtre. Nous n’avons plus de temps à perdre !
Des décennies de rapports scientifiques, de pétitions et tribunes de milliers de scientifiques appelant à l’action climatique n’ont pas eu d’effet suffisant. Le débat de la semaine dernière sur la chaîne de télévision norvégienne NRK a montré combien il était facile de détourner la position des scientifiques : les appels à plus de prudence et d’action ont été transformés en gros titre du type « Verdict des climatologues : le monde restera habitable ». Les scientifiques sont maintenant préoccupés par le peu d’honnêteté et de sérieux avec lesquels la crise climatique est traitée par les médias et voient en conséquence les actes de désobéissance civile pour dernière alternative.
Emilie Gios, chercheure post-doctorale en écologie microbienne à l’Institut norvégien des sciences de la nature (NINA) est une des scientifiques arrêté.es : « Aujourd’hui j’ai décidé de prendre position parce que je suis en colère contre l’inaction des décideurs publics face à la crise climatique. Faire de la recherche dans mon laboratoire n’est plus suffisant, les faits concernant la situation critique à laquelle nous sommes confrontés ont été ignorés depuis des décennies. La science est formelle : les conséquences du changement climatique sont déjà là et ne vont qu’empirer. Je ne peux pas rester sans réagir et regarder des gens souffrir et mourir parce qu’une poignée de personnes guidées par leur avidité ont décidé en conscience d’ignorer les scientifiques. »
Myranda Murray, doctorante en biologie évolutive à l’Université norvégienne des sciences et technologies (NTNU), explique : « Aujourd’hui je m’éloigne de mes recherches parce que l’exploration des combustibles fossiles continue toujours davantage alors que les scientifiques avertissent que c’est imprudent et dangereux. Les scientifiques ont tiré le signal d’alarme depuis des décennies, mais nous sommes David contre Goliath quand on compare les ressources dépensées en greenwashing et en désinformation sur la réalité de la crise climatique. Les gouvernements et les industriels qui ont le pouvoir d’arrêter l’exploration pétrolière continuent à profiter de l’inaction climatique. Il devient difficile d’ignorer la cruauté de leurs décisions alors que le coût humain des événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents ne cesse de s’alourdir à l’échelle de notre planète. Je suis désespéré de savoir que cela va continuer à empirer si nous continuons dans ce statu quo et je me sens complice si je reste silencieuse face à ce système injuste et détraqué. »
Andreas Kamp, chercheur à l’Université Roskilde, a été arrêté ce matin en bloquant la circulation : « Je fais cela parce que les responsables politiques ne prennent pas les faits scientifiques au sérieux. Ne pas prendre en compte les véritables coûts d’un effondrement écologique dans les décisions publiques est complètement irrationnel et extrêmement égoïste. A ceux qui me lisent ou m’entendent : les décisions que nous prenons maintenant auront des impacts décisifs pour nous-mêmes, nos enfants et petits-enfants et tous ceux après nous ! Je veux être clair pour mes enfants et mes proches : TOUT LE MONDE a la responsabilité de faire en sorte que l’humanité trouve un équilibre avec le reste de la nature. »
Baptiste Giroux, assistant de recherche en écologie industrielle au NTNU : « Je fais cela parce que je suis terrifié par la situation climatique actuelle. La cible de +1.5°C est maintenant hors d’atteinte et les décisions de nos responsables politiques nous conduisent vers une trajectoire de +3.2°C. Cela entraînera une souffrance et une violence massive, et pourtant les médias et les politiciens ne semblent pas comprendre la gravité de la situation. Les nouveaux projets pétroliers et gaziers ne sont pas compatibles avec l’accord de Paris, et c’est mentir que de prétendre le contraire. En tant que chercheur, je crois qu’il est illusoire de croire que publier davantage de rapports scientifiques puisse changer quoi que ce soit si les responsables ne les lisent pas ou ne les prennent pas au sérieux. Les actions de désobéissance civile directe peuvent obtenir bien plus en diffusant ce message et cette mobilisation. »
L’exploitation pétrolière en Norvège nous concerne toutes et tous car, comme le disait déjà Manuel Pulgar-Vidal, Responsable climat et énergie au WWF, en 2021 : « La position de la Norvège va accroître le risque que le monde atteigne des points de bascule climatiques, qui à leur tour auront des effets dévastateurs sur la nature dont nous dépendons ».
Dossiers publics pour les photos et vidéos : https://drive.google.com/drive/folders/1orTUtObIgQ0TuI5PMTP1H4ufd_TyG5MR?usp=sharing