En Avril 2023 est sorti le dernier rapport du GIEC, mais le monde continue d'ignorer les alarmes de la science.
Et les dirigeants du monde entier continuent de nous enfoncer plus profondément dans la catastrophe climatique.
Nous sommes des scientifiques et des universitaires. Nous ne pouvons rester sans rien faire. Ce mois de mai, sonne avec nous l'alarme des scientifiques unis à travers le monde !
C'est la question fondamentale de notre époque : allons-nous appliquer une décroissance raisonnable maintenant, ou allons-nous continuer à dérégler le climat jusqu'à ce qu'il nous l'impose brutalement ?
Avec une
augmentation de la température moyenne de 1,2°C par rapport à l'ère pré-industrielle, le changement climatique induit par les activités humaines engendre déjà des phénomènes météorologiques extrêmes dans toutes les régions du monde. De rapides et profonds changements dans l'atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère sont déjà à l'œuvre, nombre d'entre eux étant irréversibles à une échelle de temps qui se compte en siècles, voire en millénaires, particulièrement ceux qui affectent les océans, les calottes glaciaires et le niveau de la mer.
La science a sonné l'alerte du changement climatique
dès les années 1960.
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été fondé en 1988, et Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) en 1992. L'enjeu est tellement sérieux qu'en 1992, 1700 scientifiques de haut niveau ont cosigné un Avertissement à l'Humanité, appel réitéré en 2017 par 15384 scientifiques, puis une nouvelle fois en 2020 par 11258 scientifiques.
Même le Forum économique mondial classe les risques écologiques en tête de liste de ses préoccupations, que ce soit à court (2 ans) ou moyen (10 ans) terme, conscient d'avoir déjà dépassé la majorité des limites planétaires identifiées, alors qu'on s'approche rapidement d'un éventail conséquent de points de bascule biologiques et géophysiques. Toutefois, une action concertée et déterminante peut encore être entreprise.
Les compagnies exploitant les énergies fossiles sont de loin les principaux responsables du chaos climatique actuel. Ces énergies fossiles — charbon, pétrole et gaz — contribuent dans le monde à hauteur de 85 % des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de plus de 65 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Un quart de ces émissions sont générées par le seul secteur du transport qui fonctionne majoritairement grâce à la combustion de carburants fossiles.
L'année 2022 fut une année de profits record pour les cinq plus grandes compagnies privées pétrolières et gazières : Chevron, Exxon Mobil, Shell, BP et Total Energies. Stimulé par l'invasion russe en Ukraine, l'augmentation du prix du gaz est devenue hors de contrôle, générant des bénéfices historiques pour les producteurs de pétrole et de gaz. Les bénéfices cumulés de ces cinq compagnies a atteint 195 milliards de dollars en 2022, soit une hausse de près de 120 % comparé à l'année précédente, et le niveau le plus haut jamais atteint par cette industrie depuis ses origines. En 2018, les émissions de GES dues aux activités et produits vendus de TotalEnergies représentent presque autant que l'inventaire national français.
Les compagnies exploitant les énergies fossiles tirent profit des crises humanitaires. Il n'y a aucun moyen d'éviter un effondrement tant climatique que social sans une réduction drastique et rapide de la consommation d'énergies fossiles.
Dans le même temps, l'extraction et le traitement de ressources naturelles contribuent non seulement aux émissions de GES, mais aussi à la pollution et à la perte de la biodiversité. Des études paléontologiques menées sur les écosystèmes marins ont montré qu'à moins d'inverser la tendance, un effondrement total de tout l'écosystème deviendrait inévitable à l'avenir, car le réchauffement, l'acidification et l'eutrophisation (baisse du taux d'oxygène dans l'eau) des océans conduirait d'abord à une chute de la biodiversité suivie ensuite d'un effondrement écologique global qui provoquerait sans doute notre propre extinction.
Une transition rapide des énergies fossiles vers des énergies bas carbone a été brandie comme étant la clé permettant de résoudre la crise climatique. C'est ce qu'on nomme aujourd'hui la « croissance verte ». En fait, l'essentiel du réchauffement et de ses conséquences auraient pu être évités avec une réduction modérée des émissions couplée à une transition progressive délaissant les énergies fossiles lorsque la CCNUCC fut créée. Mais force est de constater que, bien que la production d'énergies renouvelables ait augmenté exponentiellement ces dernières années, les émissions mondiales de CO2 ont continué de croître, pour être à présent plus de 60 % supérieures à ce qu'elles étaient en 1992. En trente ans, elles ont été plus importantes que le cumul de toutes les émissions passées au cours de l'histoire humaine. Elles ont même atteint un nouveau record en 2022, et les projections d'ici à 2030 mettent les deux engagements principaux de l'Accord de Paris hors de portée ; nous conduisant, selon les paroles du Secrétaire général des Nations unies, sur « une voie rapide vers l'enfer climatique, avec le pied sur l'accélérateur ».
L'espoir de réduire les émissions relève d'autant plus du défi que la demande en matières premières et en énergies va continuer de croître en suivant la courbe démographique. En 2050, par rapport à aujourd'hui, l'augmentation de la demande en énergie augmenterait de presque moitié, et celle de plusieurs minéraux cruciaux serait multipliée par six.
Notre paradigme de croissance économique soutenue renforce encore la difficulté à relever ce défi. La dernière projection du Fond monétaire international (FMI) est de 2,9 % de croissance économique en 2022 ; en extrapolant aux dix prochaines années, il en résulte une croissance de 33 % par rapport à aujourd'hui.
L'étroite corrélation entre la croissance économique et les émissions de GES suggère qu'elle est incompatible avec un climat stable ; ou au delà, avec un usage raisonné des ressources, ou encore les objectifs de développement durable. Alors qu'il faudrait réduire nos émissions mondiale de plus de 40 % d'ici 2030, notre trajectoire nous conduit au contraire à les voir augmenter de plus de 10 % d'ici là. Il est temps de conclure que des décennies de « croissance verte » ont échoué à nous mener au modèle économique durable et respectueux de la nature qui est nécessaire.
D'un autre côté, si l'on peut affirmer que l'augmentation du produit intérieur brut (PIB) par habitant augmente effectivement le niveau de vie dans les pays les plus pauvres, son incidence sur celui des habitants des pays les plus riches est discutable—c'est le paradoxe d'Easterlin.
À cela s'ajoute le fait que notre modèle économique est générateur d'inégalités extrêmes, que ce soit entre les pays ou à l'intérieur de ceux-ci ; et à un rythme qui s'est encore accéléré depuis la pandémie de COVID-19.
Cela plaide en faveur d'un système économique permettant aux pays pauvres d'améliorer leur niveau de vie via un PIB en augmentation, tout en stabilisant le PIB des pays riches. Il faut alors remettre en cause les scénarios de réduction des émissions de GES qui considèrent nécessaire la croissance économique, quels que soient les pays et les secteurs d'activité, et sans tenir compte de la prospérité acquise. Ces scénarios comptent généralement sur un développement technologique hypothétique, en particulier la capture et la séquestration du carbone. En plus d'être incertaines, certaines technologies de géo-ingénierie pourraient présenter d'autres risques insoupçonnés, et restent incompatibles avec d'autres limites planétaire et la restauration de la biodiversité.
Récemment, plus de 1100 scientifiques et universitaires ont exhorté les institutions privées comme publiques à considérer l'option de la décroissance : Une diminution progressive, soutenable, adaptée et planifiée démocratiquement de l'activité économique, menant à un futur dans lequel on pourrait vivre mieux avec moins. Cela exige de transformer le système capitaliste orienté vers le profit actuellement en vigueur. La décroissance s'oppose à la foi dogmatique dans les forces du marché, et rejette la recherche d'une « croissance verte » ou d'un découplage entre la croissance économique et la consommation des ressources comme stratégie principale pour résoudre les problèmes sociaux et environnementaux. Rien n'indique que ces méthodes puissent porter leurs fruits à temps pour limiter le réchauffement climatique en dessous de 2°C.
Même le GIEC déclare que « se fixer comme objectif un monde durable au climat stable implique des changements fondamentaux dans la manière dont la société fonctionne, ce qui inclut de réviser les valeurs qui lui sont sous-jacentes, les visions globales, les idéologies, les structures sociales, les systèmes politiques et économiques, et les relations de pouvoir. »
Les intérêts politiques et ceux de l'économie dominante privilégient le statu quo et rejettent de toutes leurs forces le changement. Les causes de l'inaction sont également fermement ancrées dans des divisions géopolitiques et économiques plus larges, puisant leurs racines dans l'héritage historique du colonialisme, de l'impérialisme et d'autres systèmes générateurs d'injustices. La quête de croissance économique jamais remise en question, les politiques décousues et parcellaires et l'étroitesse de vue de la rationalité techno-économique sont les caractéristiques majeures de ce paradigme. En outre, les alternatives à ce modèle de développement funeste ont presque toujours été marginalisées, dénigrées, ou simplement ignorées.
Nous perdons un temps précieux, et les options qui permettraient d'infléchir les courbes des émissions de GES et de la perte de la biodiversité s'évanouissent rapidement. Les connaissances et la conscience qu'ont les scientifiques et les universitaires du caractère extrêmement sérieux du problème, tout comme celles de ses racines et de sa complexité, les amènent à se sentir investis d'un véritable devoir d'agir. Nous ne sommes pas seulement confrontés à un manque de compréhension et de conscientisation, mais aussi à de gigantesques intérêts politiques et économiques. Nos actions doivent sortir du cadre traditionnel des seules publications et préconisations. Elles doivent permettre au public d'établir les liens entre les diverses crises auxquelles nous sommes confrontés en mettant en évidence leurs causes, afin d'unifier les mouvements citoyens et d'exercer enfin la pression politique nécessaire au changement.
Des milliers de scientifiques et universitaires descendront dans les rues, du 07 au 13 mai, pour des actions de désobéissance civile non-violentes, à travers l'Europe, l'Amérique du nord, l'Amérique latine, l'Afrique et l'Australie. Cette campagne rejoint la plus importante vague de protestations du mouvement pour le climat, au cours de ses plus de quarante ans d'histoire. Les Scientifiques en rébellion se rassemblent au cri de « The Science is Clear », et exigent des gouvernements :
- La décarbonation d'urgence de l'économie, en collaboration avec des assemblées citoyennes, pour faire face à la crise climatique et aux inégalités croissantes, provoquées par le modèle actuel de croissance économique.
- Que les pays du Nord économique consacrent un fonds de réparation en faveur du Sud économique, et annulent la dette financière due par les pays les moins responsables du dérèglement climatique.
- La mise en place de protections des territoires contre les extractions abusives de ressources, ainsi que la protection des défenseurs du climat et des populations indigènes, pour assurer la justice climatique et empêcher la destruction des écosystèmes.